Avez-vous déjà répondu à une enquête sur la consommation de produits psycho-actifs ? Voici les derniers résultats de 2014, une occasion pour vous de voir où vous vous situez !
Au cours de vos études, vous avez peut-être été amené à répondre à une enquête sur vos consommations de produits comme l’ESPAD (European School Survey Project on Alcohol and Other Drugs ), ou HBSC (Health Behaviour in School-aged Children), deux études européennes. Si vous y avez échappé, vous aurez peut-être droit à ESCAPAD (Enquête sur la santé et les comportements de l’appel de préparation à la défense), une enquête réalisée sur 40000 jeunes à l’occasion de la journée de préparation à la défense à laquelle sont assujettis tous les garçons et filles entre 17 et 20 ans. Voici les résultats de ces études.
A l’image de ce qui est observé dans la population française adulte, les trois principaux produits psychoactifs consommés par les jeunes sont l’alcool, le tabac et le cannabis. Ainsi, à l’âge de 17 ans, moins d’un jeune sur dix n’a jamais pris aucun de ces trois produits et près de neuf adolescents sur dix ont au moins essayé l’alcool. Toutefois, les usages de ces trois produits apparaissent séquencés au fil de l’adolescence.
Même si certains usages ont progressé, c’est une relative stabilité, voire un retard dans l’initiation des produits qui ressort des enquêtes auprès des adolescents et des jeunes adultes, qui fument leur première cigarette en moyenne à 14 ans, un an avant la première ivresse alcoolique et le premier joint, déclarés peu après 15 ans.
Pour le tabac par exemple, on observe une progression continue des usages, depuis le début de la scolarité secondaire (6 % de fumeurs quotidiens à 13-14 ans en 4ème, 32 % à 17 ans) jusqu’à l’âge adulte (37 % de fumeurs quotidiens entre 18 et 25 ans). Pour nombre d’adolescents précocement expérimentateurs du tabac (10 % en 6ème, 20 % en 5ème, 32 % en 4ème, 49 % en 3ème), la rencontre avec le produit ne se limite pas donc pas à une simple expérience. Il s’agit bien d’une initiation, qui s’inscrit dans une conduite addictive susceptible de perdurer, en lien avec le caractère particulièrement addictogène du tabac.
L’évolution des usages de cannabis est différente. Ce produit est surtout consommé par les « grands » adolescents et il est en France plus qu’ailleurs en Europe présent dans des milieux très variés.
Les trois quarts des jeunes adultes cessent spontanément leur consommation de cannabis lors de l’entrée dans la vie active, l’installation en couple ou l’arrivée du premier enfant.
Il en va de même pour l’alcool et les comportements d’alcoolisation ponctuelle importante (API), qui culminent entre 17 et 25 ans avant de diminuer avec la prise de responsabilités d’adulte. En revanche, l’usage régulier de l’alcool tend à augmenter avec l’avancée en âge. Si l’initiation à l’alcool a souvent lieu très tôt en France, les comportements de type API sont, pour la grande majorité des jeunes, transitoires et fortement associés à la période du lycée et des études supérieures.
Dans la période récente, les usages de substances psychoactives ont connu plusieurs évolutions. On constate d’abord un élargissement de la diffusion du cannabis sur le territoire national, présent dans toutes les régions et bien plus consommé que dans la plupart des pays d’Europe, en parallèle à une présence plutôt faible de la plupart des autres drogues illicites, contrairement aux autres pays européens sur-consommateurs de cannabis (comme le Royaume-Uni, l’Espagne ou la République tchèque). L’autre trait marquant des conduites addictives en population adolescente concerne le maintien d’un tabagisme à un niveau élevé et la hausse de la fréquence des API au cours des dernières années, qui témoignent d’un renouvellement des modes de consommation d’alcool au sein des jeunes générations, dans le sens d’un rapprochement des modèles scandinave et anglo-saxon (consommation irrégulière mais ponctuellement intensive). Toutefois, une partie des jeunes sont confrontés à un usage problématique du produit : c’est le cas de 6 % des 18-25 ans qui présentent un risque élevé d’usage problématique de cannabis selon le questionnaire de repérage CAST (Cannabis Abuse Screening Test - voir questionnaire en français sur le site test-addicto.fr) tandis que 14 % peuvent être considérés comme des buveurs à risque chronique. Les jeunes qui se trouvent dans ces cas peuvent consulter de nouveaux dispositifs, les Consultations Jeunes Consommateurs (CJC) qui chaque année accueillent quelque 35 000 jeunes en difficulté avec leur pratique. Si ceux-ci sont le plus souvent adressés par la justice, ils peuvent aussi se tourner vers les CJC de leur propre initiative ou via un proche. Le principal produit à l’origine de ces consultations reste le cannabis, même si sa part dans la file active a diminué en dix ans.
Les expérimentations de produits plus rares (héroïne, cocaïne, MDMA/ecstasy, poppers, etc.) démarrent plus tard et progressent surtout entre 17 et 25 ans. Ces produits sont très liés aux univers festifs qui constituent un contexte privilégié d’usage pour les jeunes. Ainsi la MDMA/ecstasy, pourtant en recul dans les années 2000, connaît une résurgence depuis 2010 sous des formes renouvelées : poudre, cristaux ou comprimés plus gros et plus dosés, susceptibles de présenter de nouveaux risques parfois sous-estimés par les jeunes.
Au-delà de ces substances bien enracinées dans le paysage des addictions, de nouveaux produits et modalités de consommation sont apparus ces dernières années, en réponse à une offre de plus en plus large et diversifiée, à l’image des dispositifs de vaporisation (comme la cigarette électronique) : plus d’un adolescent de 17 ans sur deux a, ainsi, déjà expérimenté l’e-cigarette (56 % des garçons et 50 % des filles), même si seuls 2 % en font un usage quotidien, ce qui témoigne d’un attrait relativement faible des adolescents pour cette pratique, une fois passé l’effet de mode des années 2014-2015. L’usage de la chicha (ou narguilé) semble, en revanche, se développer parmi les adolescents : près de deux jeunes sur trois l'ont déjà expérimentée (65 %) et un quart en a fait usage au moins 10 fois dans sa vie. Concernant les nouveaux produits de synthèse (NPS), substances imitant les effets d’une drogue et souvent vendues sur Internet, la part des jeunes qui déclarent en avoir déjà consommé à 17 ans est très faible (1,7 %).
L’utilisation concomitante de plusieurs produits (ou polyconsommation) se traduit souvent par des situations de prise de risques ou de vulnérabilité.
En 2014, à 17 ans, 13 % des adolescents déclaraient cumuler un usage régulier d’au moins deux substances parmi l’alcool, le tabac et le cannabis.
Ce cumul des usages réguliers entrave, à l’évidence, la gestion de chacun des comportements : aussi est-il fréquent que des adolescents, essayant de limiter leur consommation de cannabis, "compensent" cet effort en fumant davantage de cigarettes (et vice versa).
Assiste-t-on à une relative convergence des comportements selon le genre ? Les filles auraient ainsi tendance à adopter des pratiques de plus en plus proches de celles des garçons, notamment en matière de tabagisme et d’alcoolisation. Il convient de souligner que, mis à part pour les niveaux d’expérimentation des médicaments psychotropes, les garçons sont toujours plus concernés que les filles. Plus l’usage considéré est fréquent et/ou problématique, plus l’écart entre hommes et femmes s’accentue. La tendance au rapprochement est néanmoins réelle et s'explique par l'uniformisation des rôles sociaux liés au genre mais aussi par les stratégies marketing de l’industrie du tabac et des boissons alcoolisées, qui ciblent efficacement le public féminin, avec un packaging conçu selon une esthétique proche de celle de la mode, ou encore des « prémix » (mélanges spiritueux/sodas, très sucrés pour masquer le goût de l’alcool).
Il est désormais bien admis que les consommations prennent sens selon les circonstances d’usage. Il faut donc distinguer les consommations occasionnelles et récréatives de celles qui révèlent des situations critiques ou des fragilités sur les plans psychique, social ou économique. Les jeunes de milieux favorisés expérimentent ainsi plus volontiers que ceux issus de milieu modeste. En revanche, l’enracinement dans des consommations fréquentes ou à risque est plus courante dans des situations socio-économiques défavorables. Cet apparent paradoxe illustre le fait que les jeunes de milieux favorisés conçoivent davantage leurs pratiques d’usage comme ponctuelles et vouées au plaisir, appelées à cesser de manière naturelle avec l’entrée dans la vie adulte et la prise de responsabilités.
Les consommations de produits psychoactifs apparaissent également liées à la situation scolaire. Ainsi, par exemple, les adolescents scolarisés en filière générale présentent-ils des niveaux d’usage inférieurs aux élèves inscrits en filière professionnelle. Quant aux jeunes sortis du système scolaire, leurs usages sont souvent plus élevés que ceux de leurs pairs du même âge. Outre les facteurs de vulnérabilité économique et sociale susceptibles de conduire certains jeunes vers des parcours d’errance, il convient de souligner les risques spécifiques à l’adolescence, en particulier les risques sanitaires compte tenu de l’impact de certains psychotropes sur la maturation cérébrale (notamment quand ils sont consommés très jeunes) et sur les comportements (mélange de produits ou conduite automobile sous emprise) induisant des mises en danger immédiates ou différées.
Les motivations de consommation apparaissent très variées : selon le contexte et l’individu (son âge, son sexe ou son milieu social), les produits n’ont pas les mêmes fonctions et finalités. Pour le cannabis par exemple, le produit répond à des attentes aussi différentes que de : « faire la fête », partager un moment entre amis, gérer l’anxiété, soulager une douleur (automédication) ou faciliter l’endormissement. Comme pour tout médicament psychotrope.
Les incitations sociales à consommer et le rôle de l’entourage constituent un autre pan de la compréhension des dynamiques d’usage. C’est ainsi qu’on peut mettre en regard la diminution récente des usages d’alcool et de tabac des moins de 16 ans avec la baisse des niveaux d’usage régulier de ces produits observés en population adulte depuis plusieurs décennies. Le modèle parental de consommation a évolué, ce qui n’est pas sans incidence sur les représentations des plus jeunes ainsi que, de fait, sur leurs comportements. Schématiquement, l’influence parentale domine dans l’enfance avant de s’estomper au profit de modèles promus par les amis ou les camarades de classe, autrement dit les pairs. Les usages s’inscrivant dans des pratiques relationnelles et de sociabilité, le rôle de l’entourage amical est capital.
Au-delà du phénomène des usages de substances psychoactives, la question des addictions sans produit s’est imposée comme un défi de politique publique, nécessitant une meilleure connaissance de l’impact des mutations à l’œuvre avec l’émergence d’Internet et des écrans dans la vie quotidienne. La fréquentation des écrans est désormais indissociable des jeunes générations, qui passent couramment d’un support électronique à un autre (smartphone, ordinateur, tablette, console de jeux, etc.).
La part des 17 ans surfant quotidiennement sur Internet a quasi-quadruplé en 12 ans, passant de 23 % en 2003 à 83 % en 2015, avec un gradient social assez marqué (87 % parmi les scolarisés versus 73 % parmi les déscolarisés).
En parallèle, la proportion des jeunes déclarant ne pas lire a augmenté (de 53 % à 61 %). La fréquentation des écrans n’a, en revanche, pas influé sur la pratique sportive, stable dans la même période. Enfin, une population de jeunes présentant une pratique problématique de jeux vidéo se fait jour, même si elle reste minoritaire, dont une partie croissante est amenée à demander une aide pour mieux gérer le temps passé devant les écrans. Le recours aux CJC pour des problèmes d’addiction aux jeux vidéo, s’il reste encore limité, concerne ainsi 7 % des consultants en 2015, alors que le phénomène était quasi-inexistant en 2007.
Face à ces tendances, l’hypothèse d’une éventuelle influence de l’utilisation d’écrans sur le recul des entrées dans les usages réguliers de tabac ou d’alcool parmi les collégiens et les lycéens ne peut être exclue. Même si on sait que les liens entre usages de substances psychoactives et addictions sans produit sont complexes, les deux phénomènes pourraient bien être co-occurrents, expliquant un recul des usages par une évolution de la sociabilité des jeunes (moins d'opportunités de consommations hors du regard des adultes référents). Malgré les difficultés suscitées par une fréquentation parfois envahissante des écrans, une telle tendance est encourageante car la précocité de l'entrée dans les usages apparaît fortement liée à la survenue ultérieure de problèmes sanitaires, scolaires ou autres.
Beck
Docteur en sociologie, statisticien, François BECK est directeur de l’OFDT. Il a auparavant été responsable du département "Enquêtes et analyse statistiques" à l’INPES.