Alcool et cannabis, faut-il faire attention au mélange ?

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Alcool et cannabis, faut-il faire attention au mélange ?

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Si certains consommateurs d’alcool font attention à ne pas mélanger les boissons pour ne pas être malade, qu’en est-il avec le cannabis ? Des études scientifiques comparent les effets de l’alcool, du THC et des deux composants combinés.

Publié le: 
04/04/2017

Un joint qui tourne, une gorgée de bière ou autre boisson alcoolisée entre deux lattes, voilà une situation fréquemment rencontrée chez les adeptes des produits psycho-actifs. L’alcool est désinhibiteur à faible dose et dépresseur dès que l’alcoolémie dépasse 1 g/l ; le cannabis exacerbe les sensations à faible dose mais est un puissant dépresseur. Alors qu’en est-il quand on mélange les 2 produits et est-ce que le métabolisme (= l’élimination) de l’un est modifié par la prise de l’autre ?

A ce jour, on dispose de quatre études expérimentales rigoureuses sur le plan méthodologique. Elles ont inclus un total de 131 sujets, moitié garçon, moitié fille, d’âge compris entre 20 et 25 ans. Trois études dont les participants étaient des fumeurs occasionnels, ont étudié les capacités de conduite automobile. La quatrième, n’ayant inclus que des fumeurs réguliers au nombre de 21, évaluait seulement les atteintes cognitives (cognition = ensemble des processus mentaux qui se rapportent à la fonction de connaissance) par des tests neuropsychologiques classiques.

La méthode expérimentale consiste à recruter des sujets fumeurs occasionnels ou réguliers de cannabis, de leur faire boire soit une boisson sans alcool soit une quantité d’alcool calibrée pour atteindre une alcoolémie prédéfinie (0,3 g/l ou 0,5 g/l) ; il leur est ensuite proposé une cigarette neutre sans cannabis ou du cannabis sous forme de cigarette ou sous forme d’aérosol, contenant entre 8 et 33 mg de THC. Les combinaisons de produits sont donc : alcool seul, cannabis seul et cannabis plus alcool. Les sujets effectuent ensuite soient des tests neuropsychologiques soit un parcours dans un simulateur de conduite automobile qui permet d’évaluer de nombreux paramètres de respect des règles de circulation et de l’habileté et la sécurité de la conduite.

La gamme des doses de THC utilisées tient compte des modalités d’usage du cannabis selon les pays. Par exemple aux USA, on fume quasi exclusivement de l’herbe pure dont la teneur en THC est faible ; selon le National Institute on Drug Abuse, le joint « moyen » contient 9 mg de THC. En France, le cannabis est le plus souvent proposé sous forme de résine, dont la teneur moyenne en THC est de 10% ; selon l’OFDT le joint « moyen » contient entre 30 et 40 mg de THC.

Une fois l’alcoolémie cible atteinte, le joint était fumé selon un protocole standardisé pour optimiser l’absorption de THC  (durée d’inhalation, de retenue dans les poumons et d’exhalation, intervalle entre les bouffées).  Les concentrations sanguines de THC étaient mesurées, dans les 5 minutes après la fin du joint, puis tous les 15 à 30 mn jusqu’à 3 ou 4 heures selon les études.

Dans deux des études, lorsque la teneur en THC du joint était forte, une alcoolémie élevée (0,5 g/l) augmentait entre 5 et 20% la  concentration sanguine en THC ; ce phénomène était observé dans les premières 15 mn et disparaissait ensuite.

Dans la troisième étude, aucune modification n’était observée mais cela pourrait être dû à un effet d’accoutumance puisque, à la différence des deux autres études,  les sujets étudiés étaient de « gros fumeurs » de cannabis et de solides buveurs.

Quant à l’alcool, sa pharmacocinétique (= concentration dans le sang et élimination) n’était pas significativement modifiée par la prise de THC dans aucune des études.

Dans les études sur simulateur de conduite :

  • la réactivité était diminuée de façon plus intense par le cannabis que par le mélange alcool-THC,
  • les repères latéraux de conduite (chevauchement des lignes de séparation de voie, maintien de la trajectoire, franchissement des lignes continues) étaient altérés par le THC seul et l’alcool seul et plus encore par le mélange alcool-THC,
  • la fréquence d’excès de vitesse était majorée par l’alcool et encore plus par le mélange alcool-THC.

L’étude ayant évalué les fonctions cognitives par des tests neuropsychologiques a montré que :

  • la capacité à contrôler les erreurs était diminuée par l’alcool mais non par le THC ou le mélange Alcool-THC ;
  • l’attention était diminuée par les 2 produits séparément et encore plus s’ils étaient pris de façon concomitante ;
  • l’impulsivité était accrue par l’alcool mais non par le THC ou leur mélange ;
  • enfin la planification des tâches n’était altérée ni par l’un ni par l’autre des produits.

Globalement, les altérations objectivées par les tests neuropsychologiques et la simulation de conduite allaient dans le même sens, mais n’étaient pas complètement superposables, peut-être en raison des différences entre les sujets étudiés, consommateurs occasionnels versus consommateurs réguliers.

Le peu d’études explorant les modifications de comportement dues au mélange alcool-cannabis ne permet guère d’être précis dans les conclusions. Néanmoins la modification des performances attestées par les études disponibles suggère fortement que le mélange alcool-cannabis est indiscutablement à éviter avant de conduire, tout comme la prise isolée de l’un ou l’autre de ces produits.

Auteur(s): 
Bertrand

Nalpas

MD, PhD, Directeur de recherche émérite - Inserm

MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm

 
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