Un dossier pour comprendre la transmission des informations dans le cerveau et l'impact des drogues sur ce mécanisme. Dans ce 6e chapitre, nous nous intéressons aux récepteurs des endocannabinoïdes !
C'est en faisant des recherches sur le cannabis que l'on a découvert les cannabinoïdes (voir article Quand la recherche sur le cannabis fait progresser les neurosciences). Les substances chimiques synthétisées naturellement par l’organisme qui agissent sur les mêmes récepteurs que le THC (delta9-tétrahydrocannabinol), la principale molécule active du cannabis, portent le nom d’endocannabinoïdes. Il en existe deux principaux : l’anandamide et le 2-arachidonoylglycerol, plus communément appelé 2-AG. Ces deux molécules sont des lipides dérivés de l’acide arachidonique. Ce dernier est un acide gras insaturé essentiel qui intervient dans la signalisation cellulaire mais aussi dans le développement de l’inflammation.
Les endocannabinoïdes ne sont pas stockés dans les terminaisons cellulaires mais synthétisés à la demande à partir des lipides de la membrane cellulaire. Ils diffusent librement dans l'espace synaptique après leur production et viennent se fixer sur leur récepteur.
A l’inverse des neurotransmetteurs qui sont libérés par la terminaison présynaptique et agissent sur le neurone post-synaptique, les endocannabinoïdes peuvent agir sur la terminaison présynaptique. On parle alors de messagers rétrogrades. Ils contribuent ainsi à réguler l’efficacité des synapses.
Ils sont recaptés par des transporteurs membranaires, puis dégradés par des enzymes spécifiques.
Les récepteurs des cannabinoïdes, nommés CB sont constitués d’une longue chaîne d’acides aminés qui traverse sept fois la membrane du neurone. De fait, ils appartiennent à la famille des récepteurs transmembranaires. Ces récepteurs CB sont couplés à une protéine, dite protéine G, qui permet leurs actions.
Il existe deux types de récepteurs : CB1 et CB2. Le récepteur CB1 est présent dans de nombreux organes du corps comme le tube digestif, le foie, le pancréas, les muscles, mais c’est dans le cerveau qu’on en trouve le plus. C’est même le récepteur le plus abondant dans le cerveau parmi la nombreuse famille des récepteurs à 7 segments transmembranaires couplés aux protéines G. Le récepteur CB1 est responsable des effets psychotropes des cannabinoïdes. Le récepteur CB2 quant à lui est surtout exprimé dans les cellules du système immunitaire où il exerce un effet immunomodulateur.
Les récepteurs CB1 sont présents dans de nombreuses régions du cerveau parmi lesquelles les ganglions de la base, l’hippocampe, le système limbique, le cortex, le cervelet, l’hypothalamus. Leur densité particulièrement marquée dans les ganglions de la base et le cervelet explique les effets inhibiteurs des cannabinoïdes sur la motricité et la coordination.
La densité des récepteurs CB1 est également forte dans l’hippocampe ce qui peut expliquer les effets délétères des cannabinoïdes sur la mémoire à court terme et les fonctions cognitives.
Les récepteurs CB1 sont principalement situés sur les terminaisons pré-synaptiques. Ils sont majoritairement localisés sur les neurones GABAergiques, toutefois on en trouve également sur les neurones glutamatergiques, acétylcholinergiques ou ceux du système opioïde.
L’activation des récepteurs CB1 par les endocannabinoïdes ou par le THC entraîne, via la protéine G, trois conséquences majeures sur la transmission du signal à l'intérieur des cellules neuronales, qu'on appelle aussi signalisation intracellulaire.
La première est une diminution de la formation d’un second messager appelé « AMP cyclique » (AMPc) dont la fonction est d’activer une enzyme qui modifie les propriétés de plusieurs protéines du neurone.
La deuxième est d’inhiber l’activité des canaux qui permettent l’entrée d'ions calcium ce qui engendre une diminution importante de la transmission synaptique.
La troisième conséquence est d’activer les canaux expulsant les ions potassium, ce qui va provoquer une hyperpolarisation donc un arrêt de la propagation du potentiel d’action.
Lorsque les récepteurs CB1 sont localisés sur un neurone GABA dont la fonction est d’inhiber l’activité des neurones en aval, leur activation va inhiber le neurone GABA inhibiteur et la conséquence sera une activation des neurones en aval.
Globalement l’activation des récepteurs CB1 conduit à une réduction de libération de nombreux neurotransmetteurs dont le GABA, le glutamate, la sérotonine et l’acétylcholine.
A l’inverse, par le mécanisme d’inhibition de l’inhibiteur, les neurones dopaminergiques de l’aire tegmentale ventrale sont activés par les récepteurs CB1 (pour rappel, le récepteur CB1 diminue la libération de GABA qui inhibe les neurones dopaminergiques). Il en résulte une augmentation de libération de dopamine dans le noyau accumbens et le cortex préfrontal.
L'augmentation de libération de dopamine explique les effets addictifs modérés mais réels des cannabinoïdes.
De manière intéressante des travaux récents ont montré qu’il existe aussi des récepteurs CB1 sur les mitochondries, qui sont de petites structures intracellulaires qui fournissent la majeure partie de l’énergie des cellules. Le rôle de ces récepteurs CB1 mitochondriaux est en cours d’étude mais il semble déjà être important dans les effets des cannabinoïdes sur le cerveau.
L'action de différentes substances psychoactives sur les cellules neuronales a fait l'objet d'étude de neurosciences sur les modèles animaux.
Action de l’alcool
L’exposition à l’alcool de cellules neuronales en culture augmente la production d’anandamide et de 2-AG. L’alcool augmente la concentration d’anandamide dans le noyau accumbens et l’hippocampe. Ceci pourrait rendre compte d'une tolérance croisée entre l'alcool et le cannabis (réduction des effets et augmentation de la consommation des produits).
Action de la cocaïne
La cocaïne augmente la concentration d’anandamide dans le striatum, en stimulant sa synthèse et en diminuant sa dégradation. L’absence ou le blocage pharmacologique des récepteurs CB1 diminue les effets de la cocaïne.
Action de la nicotine
L’administration de nicotine entraîne une augmentation de la densité des récepteurs CB1 dans l’hippocampe et une diminution dans le striatum. Ceci pourrait réduire la fonction d'extinction de la mémoire (capacité à oublier) et augmenterait les effets du cannabis.
Action des opiacés
Une consommation régulière de morphine entraîne une réduction de la densité des récepteurs CB1 dans l’hippocampe et dans le cervelet ainsi qu’une réduction de leur capacité de liaison. Les conséquences sont mal connues.
Action du THC
Le THC se lie aux récepteurs CB1 et CB2 et les active. Les effets psychotropes du THC sont liés à la stimulation des récepteurs CB1. Comme ces récepteurs sont présents dans de nombreux types de neurones, surtout au niveau présynaptique, les effets du THC sont complexes et dépendent des doses.
Girault
Jean-Antoine Girault, MD, PhD, Directeur de recherches Inserm, Institut du Fer à Moulin, UMR-S1270 INSERM et Sorbonne Université
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm
Luxey
Mathilde Luxey est directrice artistique, graphiste et illustratrice scientifique.
C'est une ancienne étudiante du DSAA Design d’Illustration Scientifique de l’École Estienne.
Son site : https://www.mathildeluxey.fr/