Le THC aussi franchit la barrière placentaire

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Le THC aussi franchit la barrière placentaire

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Les études montrent qu’il n’y a pas que l’alcool et la cigarette qui ont des effets nocifs sur le foetus : zoom sur les recherches sur le cannabis

Publié le: 
11/01/2019
Quelques chiffres

Le cannabis est de loin la drogue illégale la plus répandue dans le monde entier. Selon l’Office des Nations Unies, 192,2 millions de personnes âgées de 15 à 64 ans ont consommé du cannabis en 2018 (UNODC, 2018). La majorité des consommateurs est jeune et se trouve dans la phase reproductive de leur vie. Le cannabis est également la drogue la plus consommée par les femmes enceintes et les jeunes mamans. Pendant, la grossesse, 2 à 5% des femmes consomment du cannabis, et ces chiffres atteignent 15 à 28% chez les jeunes femmes défavorisées sur le plan socio-économique. De façon alarmante, plus de 70% des utilisatrices considèrent que le cannabis est sans danger et sans effets majeurs sur le fœtus ; pourtant, le composant principal du cannabis, le delta-9-tétrahydrocannabinol (THC) est capable de franchir la barrière placentaire et donc d’atteindre le sang du fœtus. Des milliers de nourrissons sont donc exposés au cannabis avant même de naître.

Les cannabinoïdes

Le THC appartient à la famille des cannabinoïdes. Cette famille est divisée en deux parties : les cannabinoïdes exogènes (qui viennent de l’extérieur) tel que le THC, et les cannabinoïdes endogènes (sécrétés par notre propre corps) appelés plus communément les endocannabinoïdes. Dans le cerveau, le THC cible principalement un récepteur appelé CB1 (pour « récepteur aux cannabinoïdes de type 1 »), élément principal du système endocannabinoïde – un système physiologique contrôlant des processus neuronaux tels que la prolifération, la migration, la morphogenèse et la synaptogenèse, essentiels au bon développement du système nerveux. Par conséquent, une exposition chronique et précoce peut perturber les fonctions physiologiques du système endocannabinoïde et modifier la maturation du cerveau, entraînant des altérations neurobiologiques à long terme.

Effets de l’exposition in utero

D’après certaines études épidémiologiques chez l’Homme, les enfants ayant été exposés au cannabis pendant la grossesse ont des scores d’intelligence normaux mais présentent des déficits des fonctions cognitives et exécutives (attention, mémoire, concentration, etc.) ainsi que des comportements anxieux et dépressifs à l’adolescence. Il est donc essentiel de comprendre comment le THC, principale molécule psychoactive du cannabis, peut affecter le développement du fœtus. 
Des chercheurs se sont récemment intéressés à la question et ont analysé les conséquences d’une administration quotidienne de THC à des rattes gestantes sur les ratons parvenus à l’âge adulte, en distinguant les effets selon leur sexe, mâle ou femelle. Les chercheurs ont analysé un système impliqué dans de nombreuses fonctions physiologiques appelé le système méso-cortico-limbique. Ce circuit régule de nombreuses fonctions cognitives et émotionnelles telles que la récompense, la motivation, les relations sociales, le contrôle des émotions ou encore la planification. Chez l’Homme, son fonctionnement est altéré dans de nombreux troubles psychiatriques comme l’autisme, l’addiction, le retard mental, la schizophrénie, la dépression majeure.
La durée de la gestation chez la ratte est de 21 à 22 jours.  Le THC a été administré du 4ème au 20ème jour à la dose de 5mg/kg, ce qui représente chez l’être humain un joint moyennement chargé. Plusieurs comportements des ratons ont été évalués : le jeu (bondir vers le partenaire, se mettre sur le dos…), les rapports sociaux (se rapprocher, renifler, lécher le poil du partenaire…), l’agressivité (attaques), la mémoire et la curiosité (découvrir de nouveaux objets), l’anxiété (épreuve du labyrinthe).  Les résultats ont montré que l’exposition prénatale aux cannabinoïdes affecte des aspects spécifiques des comportements sociaux chez les mâles une fois devenus adultes, mais pas chez les femelles. En effet, chez les mâles adultes, alors que les comportements agressifs restent inchangés, le temps d’interaction sociale et de jeu est diminué.

Mécanismes

Les chercheurs se sont alors intéressés aux mécanismes qui pourraient expliquer ces résultats. Ils ont mis en évidence que l’exposition prénatale au THC réduisait l’efficacité de la transmission synaptique dans le cortex préfrontal des rats adultes mâles uniquement. Cette forme de plasticité synaptique appelée dépression à long terme (DLT) est un mécanisme de l’oubli (voir la vidéo Neuroplasticité et addiction).  Dans le but de comprendre pourquoi la DLT des femelles n’était pas impactée par l’exposition prénatale au cannabis, les chercheurs ont étudié le récepteur engagé dans ce type de plasticité. Ils se sont aperçus que la DLT du cortex préfrontal chez les mâles avait pour médiateur le récepteur CB1 et, chez les femelles le récepteur TRPV1. L’utilisation de cette voie biologique permettait aux femelles de toujours exprimer la DLT dans le cortex préfrontal, même après avoir été exposées au cannabis dans le ventre de leur mère. Les chercheurs ont complété leur démonstration en montrant que l’administration à la progéniture mâle d’une molécule stimulant indirectement le récepteur TRPV1 permettait de restaurer la plasticité synaptique et les fonctions d’interaction sociale et de jeu. 
Ces résultats montrent que, chez le rat, une exposition au THC in utero peut entraîner chez la descendance des conséquences à long terme au niveau moléculaire, fonctionnel et comportemental. Les effets peuvent être spécifiques au sexe selon les paramètres analysés. 
Des travaux complémentaires sont attendus et nécessaires pour confirmer ces observations et les transposer à l’être humain.

Auteur(s): 
Anissa

Bara

Docteur en neurosciences

Anissa Bara, PhD
Postdoctoral Fellow
Icahn School of Medicine at Mount Sinai
Department of Psychiatry - Laboratory of Yasmin Hurd
Institut de neurobiologie de la Méditerranée (INMED) - Adolescence and developmental vulnerability to neuropsychiatric diseases - Equipe dirigée par Olivier Manzoni

 
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