Le rôle du marketing de l'alcool dans la consommation des jeunes

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Le rôle du marketing de l'alcool dans la consommation des jeunes

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La recherche scientifique a démontré l'impact du marketing de l'alcool dans la consommation des jeunes

Publié le: 
20/07/2022

La dernière décennie montre que les recherches pluridisciplinaires et internationales persistent et signent quant à l’existence d’un rôle « causal » du marketing alcoolier sur les comportements de consommation d’alcool des jeunes. D’une part, les sciences humaines et sociales ont affiné leurs recherches, montrant qu’il devient aujourd’hui indéniable et incontestable que les stratégies de l’industrie alcoolière sont conçues pour atteindre des cibles particulièrement vulnérables, l’une d’entre elles étant le cerveau adolescent. D’autre part, la recherche en neurosciences corrobore aujourd’hui ces résultats, en expliquant comment fonctionne cet effet causal « à l’insu de son plein gré » sur un cerveau en phase de développement, mais n’ayant pas encore les défenses nécessaires pour résister à certains stimuli du marketing de l’alcool.

Etudes du lien de causalité

Les études récentes apportent encore et toujours des preuves supplémentaires d'une relation entre l'exposition précoce au marketing de l’alcool et sa consommation ultérieure chez les jeunes, certaines études portant sur des enfants âgés de 10 ans seulement. Ces résultats prenaient en compte les comportements de consommation d'alcool au sein de la famille et des pairs, ainsi que d'autres incitations culturelles à consommer de l'alcool. 
Le marketing de l’alcool est largement répandu, que ce soit en milieu rural ou en milieu urbain. En effet, pas besoin d’une campagne marketing pour communiquer sur l’alcool, puisque la simple et légale disponibilité des magasins de vente au détail est associée à l'exposition des enfants à ce marketing. Ceci implique donc que cette disponibilité de l'alcool accroît de facto l'exposition à son marketing et son packaging. Cette association peut contribuer à expliquer pourquoi les enfants sont influencés par la disponibilité de l'alcool, même s'ils en achètent rarement auprès des détaillants. Une relation de cause à effet semble exister entre l’exposition au marketing de l'industrie alcoolière et la consommation des jeunes ; cette notion de causalité a été mise en évidence en 2020 par les résultats d’une étude dans laquelle les chercheurs ont utilisé une méthode (les critères de Bradford Hill) qui permet d'évaluer un lien de causalité dans un cadre épidémiologique large, et qui s'appuie sur des preuves provenant de nombreuses disciplines et de nombreux pays.

Mécanismes

Des mécanismes relevant de la psychologie, de la neurobiologie et autres ont été identifiés comme pouvant expliquer le lien entre marketing et consommation. 
En ce qui concerne les mécanismes psychologiques, les résultats de la recherche concluent que l'exposition à la publicité pour l'alcool et au contenu des médias influence un grand nombre de processus psychologiques, certains opérant au niveau individuel - familiarité, formation de l'attitude, conditionnement évaluatif, attentes - et d'autres au niveau social - identification de l'individu et du groupe, normes sociales. Les résultats amènent également des preuves d'une relation réciproque ; en d’autres termes, l'implication dans l'alcool influence les préférences ou la probabilité d'exposition à des contenus médiatiques liés à l'alcool, engendrant de fait un cercle vicieux. Par ailleurs, les données recueillies à ce jour suggèrent que la perception des comportements et des attitudes des autres par rapport à l'alcool (normes sociales) peut davantage inciter les jeunes à boire que les effets attendus de la consommation. Il demeure que des recherches beaucoup plus approfondies, notamment expérimentales, sont encore nécessaires pour comprendre et confirmer ces résultats.
La recherche en neurobiologie a proposé en 2020 un modèle unifié des effets du marketing de l’Industrie Alcoolière sur la consommation d'alcool chez les jeunes adolescents. Les résultats contribuent à établir que les publicités pour l'alcool sont des stimuli prédictifs de récompense, qui renforcent la consommation. L’adolescence est effectivement une période sensible du développement cérébral, pendant laquelle les jeunes sont particulièrement réactifs aux signaux sociaux et de récompense, qui sont d’ailleurs, les caractéristiques de nombreuses publicités pour l'alcool (voir article Une boisson alcoolisée est-elle aussi bonne sans sa publicité ?). Par conséquent, le marketing de l’industrie alcoolière habitue les jeunes aux associations entre le produit et la récompense obtenue, ce qui motive ainsi l’initiation et le maintien de leur consommation sociale d'alcool, sachant que les changements neurobiologiques qui vont alors se mettre en place peuvent contribuer à des schémas ultérieurs d'abus d'alcool. 
Les recherches neurochimiques récentes continuent inlassablement à montrer que la consommation d'alcool a des effets sérieux et variés sur le système nerveux central. En effet, l’alcoolisation influence les mécanismes de signalisation intracellulaire (voir vidéo Youtube Quels sont les effets de l'alcool sur le cerveau ?), entraînant alors des modifications de l'expression génétique (voir article L’alcool est génotoxique) et d’autres altérations moléculaires, qui sont à l’origine d’altérations des circuits neuronaux. Pris dans leur ensemble, ces mécanismes produisent des adaptations cellulaires durables dans le cerveau, adaptations qui à leur tour, entraînent le développement et le maintien des troubles liés à la consommation d’alcool.

Mesures de protection

Une revue des études menées de 1990 à 2013 a identifié les arguments habituellement mis en avant par l’industrie alcoolière pour orienter les débats politiques, avec pour objectif d’empêcher la mise en œuvre de restrictions sur le marketing de l'alcool. Les tactiques, également utilisées par l'industrie du tabac, consistent à obscurcir le sujet en utilisant entre autres la déformation de la base de preuves, et le recours à des tiers et à des groupes de pression. 
L'éducation aux médias, a été proposée comme un outil important pour réduire les effets néfastes potentiels des médias en permettant aux adolescents de mieux comprendre, analyser et évaluer les messages médiatiques. En effet, des études ont démontré que les jeunes ayant une meilleure éducation aux médias sont moins susceptibles de consommer de l'alcool et d’avoir l’intention de boire et de fumer. 
Dans le contexte français, si la loi Évin n'avait pas évolué depuis 1991 et était restée plus proche de ses principes fondateurs, les jeunes n'auraient pas été exposés à l'affichage extérieur et à la publicité sur Internet (autorisés respectivement en 1994 et 2009). La recherche montre que les restrictions proposées par la loi Évin pour les titres des magazines et des sites Internet (publicités pour l'alcool autorisées dans la presse adulte ou sur les sites Internet) ou l'utilisation d'heures refuge à la radio ne sont pas des mesures efficaces pour protéger les jeunes car ils sont toujours exposés aux publicités pour l'alcool dans ces médias.
Enfin, plusieurs études soulignent la nécessité d'éliminer ou de réduire l'exposition des jeunes aux promotions de l'alcool, comme les échantillons gratuits ou encore les produits dérivés liés à l'alcool (casquette, tee-shirt, objets portant la marque...).

Auteur(s): 
Rémi

Bréhonnet

Docteur en Sciences Humaines et Sociales, Groupe Excelia, La Rochelle