Hypersexualité : du comportement excessif à l'addiction

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Hypersexualité : du comportement excessif à l'addiction

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Une sexualité excessive peut devenir pathologique : explications et critères d'une addiction classée comme trouble mental par l'OMS en 2018

Publié le: 
16/12/2020

Il n’existe pas encore de consensus sur la terminologie en lien avec l’addiction sexuelle. Cependant, avec l’avancée des études, le concept commence à s’individualiser. La littérature évoque de nombreux termes pour une sexualité excessive voire pathologique : nymphomanie, donjuanisme, comportements sexuels compulsifs ou  impulsifs, perte de contrôle sexuelle, trouble de l'hypersexualité, ou encore addiction sexuelle.
Décrits pour la première fois en 1812, les comportements sexuels excessifs firent l’objet d'un article dans un traité en 1886 mais furent conceptualisés bien plus tard, dans les années 1970, comme un tableau de dépendance. Il associe une composante impulsive (plaisir, évitement, gratification) et compulsive, cette dernière étant impliquée dans la persistance du comportement. 
L’addiction au sexe n’est pour l’instant pas référencée dans l’ouvrage de référence des pathologies psychiatriques et des addictions, le fameux DSM dont le dernière version date de 2015. Pourtant un groupe de spécialistes avait travaillé sur les critères diagnostiques du trouble de l'hypersexualité mais ces derniers n’ont pas été retenus. Par contre l'OMS, l’organisation mondiale de la santé, a retenu le concept, sous le terme comportements sexuels compulsifs, dans sa onzième classification.
Les travaux de recherche sur cette thématique ont été multipliés par quatre ces dix dernières années. De même, les demandes de prise en charge dans les services et consultations spécialisées ont elles aussi augmenté.

Les études montrent que l’industrie du sexe pour adultes est le principal vecteur des addictions sexuelles.

Elle est génératrice de nouvelles formes de gratification immédiate en utilisant les nouvelles technologies et les nouvelles formes de média. Il existe de nombreux supports sexuels, pouvant être utilisés isolément ou en association : revues papier, films, images pornographiques, pornographie en streaming,  jeux en ligne, Webcams gratuites ou payantes, prostitution en ligne (amateurs, professionnels), salons de massage, saunas et clubs échangistes, sexodrome (formule hôtelière all inclusive), conversations téléphoniques érotiques, sextos, « nudes », l’utilisation à visée sexuelle des réseaux sociaux, sites de rencontre échangistes ou plus standards.

Quelques chiffres

Même s’il n’existe pas d’études épidémiologiques sur de larges échantillons, la fréquence des comportements sexuels excessifs voire hypersexuels est estimée entre 3 et 6% dans la population générale. A titre de comparaison, ce chiffre est similaire à celui du trouble d'utilisation du jeu vidéo, une autre addiction sans substance (voir article Pourquoi l'usage excessif des jeux vidéo va-t-il être classé comme une addiction ?). Elle est plus élevée chez les jeunes adultes, avec une nette sous-représentation féminine, les hommes étant trois à cinq fois plus nombreux que les femmes. Des études ont observé que cette fréquence a augmenté depuis l’apparition d’Internet et des nombreux sites pour adultes.

Dans le cerveau

Bien que la recherche sur les fondements neurobiologiques de l'hypersexualité soit encore rare, les données de neuroimagerie semblent mettre en avant des altérations du lobe frontal, du lobe temporal, de l'amygdale, de l'hippocampe, de l'hypothalamus, et des régions cérébrales associées à la récompense (par exemple, striatum, nucleus accumbens, aire tegmentale ventrale). La testostérone pourrait également être impliquée et les études génétiques et de neuropharmacologie mettent en avant une implication du système dopaminergique et sérotoninergique. Pour l'instant, nous ne savons pas quelles régions du cerveau sont à l’origine d’un phénomène de désinhibition et contribuent ainsi indirectement à un taux d'expression plus élevé de la sexualité. Il en est de même pour les zones directement associées à une augmentation de la pulsion sexuelle. Des études supplémentaires sont nécessaires.

Diagnostic

L’addiction sexuelle s’inscrit dans un cycle associant préoccupations sexuelles obsédantes, rituels, comportements compulsifs, et une triade comprenant la honte, la culpabilité et le désespoir une fois l’acte sexuel achevé. 
Les signes cliniques qui permettent d'identifier l'addiction chez un sujet avec une activité sexuelle excessive comportent :

  • la perte de contrôle du comportement sexuel, 
  • l'impossibilité d’interrompre ce comportement, 
  • la persistance de la poursuite des comportements sexuels, 
  • la prise de risque, 
  • le filtre sexuel (l'esprit parasité par des images sexuelles), 
  • le désir d’interrompre, de limiter ou de réduire son comportement sexuel,
  • le comportement sexuel utilisé comme stratégie principale de "coping" ou de gestion du stress, 
  • le phénomène de tolérance, 
  • la fluctuation ou changements importants de l’humeur en lien avec l’activité sexuelle,
  • la perte de temps importante à rechercher des activités sexuelles ou à être impliqué dans des activités sexuelles réelles ou virtuelles, 
  • le temps de récupération post-activités sexuelles, les conséquences sociales, physiques, psychologiques.

Les sujets ayant une addiction sexuelle ont le plus souvent débuté leur expérience sexuelle à un âge précoce, sont plus issus de parents séparés, ont une fréquence et une diversité élevée de comportements sexuels. Les hommes auraient plus d’insatisfaction dans leur vie sexuelle, de problèmes relationnels et consultent plus pour des problèmes en lien avec le sexe. Comme pour l’addiction à des substances psychoactives, il existe des symptômes de sevrage entre les épisodes de consommation sexuelle comprenant une insomnie, une nervosité, une irritabilité, des sueurs, des nausées, une tachycardie, de l'asthénie (=fatigue).  
Le trouble addictif sexuel peut se manifester sous différentes formes : la masturbation excessive ou compulsive, les activités sexuelles en ligne, l’utilisation excessive de la pornographie, différents types de comportements sexuels avec des adultes consentants, des échanges sexuels via le smartphone, la fréquentation excessive de salons de massage, de clubs ou de saunas échangistes, la séduction compulsive. 

Conséquences

Les personnes concernées cachent souvent cette activité du/de la conjoint-e et de l'entourage, souffrent souvent de solitude et de faible estime de soi. Elles luttent contre les émotions négatives et rationalisent leur persistance à avoir des comportements sexuels compulsifs.
Une des conséquences majeures de l’addiction sexuelle est le risque d’infections sexuellement transmissibles liés à des rapports sexuels non protégés (VIH, chlamydiose, gonococcie, syphilis…), ainsi que des risques de grossesse non desirée. Les patients souffrant d’addiction sexuelle peuvent également avoir des co-addictions au tabac, à l’alcool ou à des drogues illicites (par exemple, la cocaïne, le GHB ou son précurseur, le Gamma-ButyroLactone (GBL), les nouvelles drogues de synthèse. Chez les hommes, les jeux de hasard et d’argent sont particulièrement fréquents (pour en savoir plus, lire aussi Addiction et jeux d’argent.
L’addiction sexuelle est associée à des pathologies psychiatriques dont les plus fréquentes sont les troubles anxieux et les troubles de l’humeur. La présence d’un trouble mental aggrave l’expression clinique de l’addiction, tandis que celle-ci exacerbe les symptômes du trouble psychiatrique associé, rendant le traitement de chacun de ces troubles plus compliqué. 

Auteur(s): 
Laurent

Karila

Professeur de Psychiatrie / Addictologie, Hôpital Paul-Brousse

Psychiatre, DESC d’addictologie ;

Praticien hospitalier à temps plein, responsable de l’activité ambulatoire et du Centre Référence cocaïne et drogues psychostimulantes, Centre d’enseignement, de recherche et de traitement des addictions – Hôpital Paul Brousse, AP-HP, Villejuif - Université Paris Saclay
Membre de la Fédération Française d’Addictologie

Twitter : @laurentkarila

 
Dans l'addiction sexuelle, il existe des symptômes de sevrage entre les épisodes de consommation sexuelle
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