Arrêter sans stresser grâce à l'acupuncture ?

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Arrêter sans stresser grâce à l'acupuncture ?

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En complément de la psychothérapie, des études scientifiques montrent que l'acupuncture et l'auriculothérapie permettent de réduire voire supprimer les symptômes de sevrage

Publié le: 
30/11/2023
Un peu d’histoire

L’acupuncture est une médecine apparue en Chine dès l’âge de pierre, soit 1 à 4 siècles avant notre ère. Les chercheurs émettent l’hypothèse qu’en tatouant et en piquant toujours au même endroit, les tatoueurs se sont aperçus que cela déclenchait des effets dans une partie du corps très éloignée du point de la piqûre. Initialement, la piqûre était réalisée avec des poinçons de pierre utilisés comme aiguille (des exemplaires ont été retrouvés en 1963). Les premières aiguilles de métal apparaissent vers le 2ème siècle avant notre ère. L’acupuncture connaîtra en Chine des périodes de forte utilisation jusqu’au 19ème siècle, puis sous l’influence de la médecine occidentale elle sera déconsidérée et même interdite en 1927. Relégalisée par Mao Tse Toung en 1959, l’acupuncture a évolué avec des points hors méridiens, et propose aujourd'hui des techniques complémentaires comme l’électro-acupuncture (envoi d’un courant de faible intensité dans l’aiguille) ou l’auriculothérapie (implantation d’aiguilles dans l’oreille).

Mécanisme d’action

Les études sur le mécanisme d’action de l’acupuncture ont débuté dans les années 1960. Les chercheurs ont observé que la pose d’une aiguille à un point précis permettait d’élever progressivement le seuil de la douleur perçue, le retour au seuil d’origine se faisant une fois l’aiguille retirée. L’intervention de médiateurs chimiques, des neurotransmetteurs, était suspectée par les chercheurs. Pour explorer cette piste, le liquide céphalo-rachidien d’un lapin ayant subi une séance d’acupuncture (lapin donneur) a été injecté dans le cerveau d’un autre lapin n’ayant pas subi d’acupuncture (lapin receveur). Les effets analgésiques observés chez le lapin donneur ont alors été également observés chez le lapin receveur, ce qui validait l’hypothèse de médiateurs chimiques. Des travaux ultérieurs ont montré que l’acupuncture stimule la production dans le cerveau d'endorphines(voir article Influence des endorphines sur l’addiction), c.a.d. des opioïdes expliquant ainsi les effets analgésiques. 
L’effet de l’acupuncture sur le sevrage ne repose pas seulement sur la production d’endorphines qui soulagent les douleurs. Des travaux menés au laboratoire sur des rongeurs ont montré que l’acupuncture diminuerait l’activité des neurones à adrénaline qui sont impliqués dans le stress associé au sevrage. Enfin, toujours chez les rongeurs, l’acupuncture permettrait de restaurer au moins en partie la réduction de libération de dopamine engendrée par la prise répétée de substances psychoactives (voir article Tolérance et addiction).

L’acupuncture dans le traitement de l’addiction

La découverte que l'acupuncture pouvait aider les personnes dépendantes a été accidentelle. En 1972, un patient dépendant à l’opium a été hospitalisé pour une intervention chirurgicale sans rapport avec sa consommation , et a bénéficié d’une électro-auriculothérapie. Il a rapidement signalé au médecin que l'acupuncture soulageait ses symptômes de sevrage. Cet effet a alors été vérifié sur une série de 40 patients dépendants à l’opium ou à l’héroïne. Avant le traitement, les patients étaient repliés sur eux-mêmes, refusaient de manger, souffraient de douleurs, avaient une respiration sifflante et toussaient. Environ 10 à 15 minutes après le début du traitement par acupuncture, les symptômes avaient disparu. La respiration des patients était devenue plus régulière et ils déclaraient se sentir détendus.
Suite à ces observations, un hôpital du Bronx à New-york, spécialisé dans le traitement des addictions, a mis au point le protocole de la « National Acupuncture Detoxification Association » (NADA), également appelé « acudetox ». Ce protocole s’appuie sur l’auriculothérapie qui consiste à insérer des aiguilles dans des points précis de l’oreille pour accompagner les patients dans le sevrage. En effet un médecin lyonnais, Paul Nogier, a découvert en 1951 qu’il existe des relations entre le corps et l’oreille et a pu en établir une cartographie précise validée par l’OMS en 1990. Le protocole NADA utilise cinq points auriculaires et ne nécessite pas de stimulation électrique, contrairement à l’électro-auriculothérapie.

points d'acupuncture dans l'oreille

Résultats des études

Dix études utilisant le protocole NADA réalisées entre 2011 et 2016 ont été analysées. Elles portaient sur un total de 1255 patients dépendants entre autres à l’opium, l’héroïne et la cocaïne. Sur les 10 études, 5 d’entre elles disposaient d’un groupe témoin qui recevait soit un traitement usuel, soit des implantations d’aiguilles dans des points autres que ceux du NADA. Le nombre de sessions d’acupuncture allait de 2 à 4 par semaine en général pendant 4 semaines. Deux études ne rapportaient aucun bénéfice du NADA. Dans les 8 autres, des améliorations des symptômes de sevrage ainsi que de l’anxiété étaient observées mais l’importance du bénéfice n’était pas précisée. Enfin sur les 10 études analysées, seulement 3 ont révélé l’efficacité supérieure du traitement NADA. Les chercheurs ayant réalisé cette analyse relevaient que nombre de ces études comportaient des biais méthodologiques, ce qui empêchait de tirer des conclusions fiables.

Publié en 2017, un essai clinique a porté sur 100 patients dépendants répartis en deux groupes par tirage au sort, l’un recevant le protocole NADA et l’autre un traitement traditionnel. Tous les patients recevaient une aide psychothérapeutique. Les séances d’acupuncture avaient lieu 2 fois par semaine pendant 8 semaines, les aiguilles étaient laissées en place pendant 45 mn. En fin de traitement, à 8 semaines, des questionnaires portant sur la qualité de vie et l’anxiété étaient administrés. Trois et 6 mois après la fin du traitement, les patients étaient interrogés par téléphone sur leur consommation de substances psychoactives. 
Au terme des 8 semaines, les résultats étaient les suivants : 
la proportion de fumeurs était passée de 72% à 20% dans le groupe NADA, 
la proportion de fumeurs était passée de 76% à 40% dans le groupe contrôle, 
la fréquence de consommation d’alcool passait de 48% à 10% dans les 2 groupes, 
la fréquence de consommation des autres substances de 50% à 5% dans les 2 groupes. 
Ces réductions se maintenaient seulement dans le groupe NADA pour l’alcool et le tabac mais non pour les autres substances. L’anxiété diminuait dans les 2 groupes et la qualité de vie s'améliorait seulement dans le groupe NADA. Sur 100 patients, 41 ont abandonné l’étude en cours de route, ce qui fragilise les résultats.

L’analyse spécifique des essais cliniques concernant les patients dépendants de l’alcool, publiée en 2023, montre une amélioration plus nette des symptômes du sevrage, du craving et de l’anxiété, lorsque le traitement NADA dure 4 semaines. Mais là encore la méthodologie des essais n’est pas rigoureuse et met en péril les résultats.

Une revue effectuée en 2006 a analysé 7 essais d’efficacité du protocole NADA chez des sujets dépendants à la cocaïne et répondant à une méthodologie correcte. Les groupes contrôles recevaient soit un programme de relaxation soit des séances d’acupuncture portant sur des points différents de ceux du protocole NADA. Le critère d’évaluation principal était la quantité de métabolites de la cocaïne présente dans les urines. Globalement, l’acupuncture , que celle-ci respecte ou non le protocole NADA, entraînait une réduction significative des métabolites de cocaïne dans les urines, signe d’une diminution de la consommation. L’intensité du craving était également diminuée.

Au total, l’auriculothérapie semble aider à réduire les symptômes de sevrage, l’intensité du craving et les signes d’anxiété. Elle n’est pas un traitement de l’addiction à elle seule. Elle vient en complément des autres thérapies. 

Auteur(s): 
Bertrand

Nalpas

MD, PhD, Directeur de recherche émérite - Inserm

MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm

 
L'acupuncture génère une augmentation de la quantité d'endorphines dans le cerveau ce qui entraîne du bien être et une réduction de la douleur
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