Quand l’addiction se superpose au stress post-traumatique

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Quand l’addiction se superpose au stress post-traumatique

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Les neurobiologistes étudient les liens entre les effets du trouble de stress post-traumatique et ceux de la consommation de substances psychoactives.

Publié le: 
21/02/2020

Le concept de “traumatisme psychologique” est attribué à Freud. Son hypothèse était qu’un événement traumatisant, événement violent surgissant sans avertissement et auquel le sujet n’est pas préparé, entraîne une excitation psychique majeure impossible à gérer. La conséquence en est une altération sévère du fonctionnement psychique et des défenses établies, rendant le sujet inapte à répondre adéquatement aux situations.
Aujourd’hui dénommé « trouble de stress post-traumatique (TSPT) » il est défini dans le répertoire des pathologies mentales comme un syndrome anxieux survenant après un événement gravement traumatisant comme avoir participé à une guerre, être victime de guerre ou d’attentat, de catastrophe naturelle (inondation, tsunami, tornade…) ; avoir été agressé physiquement, violé, kidnappé, torturé ; avoir subi un accident de la route grave etc. 
De fait, on l’observe très souvent chez les personnages dramatiques dans les films ou les séries qui racontent ce type d’événement. C’est le cas par exemple de Tony Stark dans Iron Man 3 qui commence après la bataille contre les extraterrestres Chitauris : Stark s’isole, il évite certains lieux à New York, certaines personnes, fait des cauchemars et passe ses nuits d’insomnie à construire des armures Iron Man de façon obsessionnelle, des comportements qui génèrent des tensions avec sa petite amie et présidente de Stark Industries, Pepper Potts. C’est aussi le cas du personnage de Harry Potter : Harry souffre de flashbacks, d’anxiété, de cauchemars liés à différents événements traumatisants, le décès de ses parents assassinés par le sorcier Lord Voldemort, la perte de certains de ses compagnons comme Cedric Diggory ou Albus Dumbledore dans ses batailles contre son ennemi juré.
Chez les enfants et les adolescents, les traumatismes les plus fréquents sont le viol, la mort d’un parent, ou avoir été témoin de violences graves. Au cours de l’événement, la victime pense que sa vie est en grave danger et qu’elle ne dispose d’aucun contrôle sur ce qui arrive. 
Le TSPT peut survenir à n’importe quel âge mais est plus fréquent chez les jeunes, sans doute parce qu’ils sont plus exposés à des situations violentes (accident de la circulation, décès de proches, agression sexuelle…) et chez les femmes.
La survenue d’un TSPT après l’événement traumatique ne concerne pas toutes les victimes. Les principaux facteurs associés à sa survenue sont la durée, la répétition et l’intensité du traumatisme, l’incapacité à se détacher de l’événement et à reprendre le contrôle de soi, la blessure ou la perte concomitante d’un être proche ou encore la rapidité avec laquelle un secours physique et psychologique est apporté.
Selon une étude rapportée en 2013 par l’Organisation Mondiale de la Santé, 3,6% de la population mondiale a souffert d’un état de stress post-traumatique durant l’année précédent l’enquête.

Conséquences du trouble de stress post-traumatique

Outre l’anxiété sévère, les symptômes du TSPT peuvent comprendre des troubles du sommeil et de la concentration, une inhibition de la prise en compte de la réalité et du vécu, une incapacité à se rappeler d'importantes informations personnelles, liées ou non à l’événement. La vie quotidienne en est fortement handicapée. Si le syndrome anxieux persiste plus de trois mois, il est qualifié de chronique.  
Le TSPT peut contribuer au développement de nombreuses pathologies mentales. Les données disponibles recensent des troubles paniques dans 9,5% des cas, des phobies sociales (28%), des dépressions majeures (48%). 

Consommation de substances psychoactives

Un travail mené en 2000 a évalué le risque de survenue d’un trouble de l’usage de substances chez des jeunes adultes âgés de 19 à 24 ans, non-consommateurs de drogues et ayant ou non un TSPT dans leurs antécédents. Au terme d’un an d’observation, la probabilité de survenue d’un comportement addictif était multipliée par 4 chez ceux ayant un antécédent de TSPT.
La synthèse des nombreux travaux menés chez les sujets avec TSPT permet d’estimer à 40% la proportion de ceux étant en difficulté avec l’alcool et à 30% de ceux consommant d’autres substances psychoactives, hors tabac. 
La principale raison pour expliquer la fréquence de l’addiction à l’alcool est que ce produit induit des troubles de la mémoire, ce qui permet au sujet avec TSPT d’atténuer l’anxiété associée au traumatisme, de réduire la reviviscence des souvenirs violents, et de minimiser l’hyperexcitabilité provoquée par l’émergence des souvenirs.

L’approche neurobiologique

Du point de vue neurobiologique, le lien entre TSPT et addiction passe par l’axe hypothalamo-hypophysaire. En effet ce circuit, communément appelé circuit du stress, est impliqué dans la régulation du stress, de la mémoire et aussi dans l’addiction.
Les études sur les réactions des humains face à une situation de danger grave sont peu avancées pour des raisons d’éthique et de difficulté méthodologique à reproduire le contexte. Les modes de défense sont mieux connues chez les animaux. Lorsqu’un prédateur est proche, l’animal reste immobile tant qu’il n’est pas repéré. Une fois dans le champ de vision du prédateur, et à l’approche de ce dernier, l’animal fuit si l’environnement le permet. Lorsque la fuite n’est pas possible, l’animal soit se met en position de combat et se bat soit reste immobile, comme paralysé. Cet état appelé sidération est un réflexe involontaire caractérisé par une inhibition motrice et une absence de réactivité aux stimuli externes.
Ces scénarios requièrent une cascade de nombreux événements biologiques qui fourniront l’énergie nécessaire. Les principaux et mieux connus sont premièrement la sécrétion de cortisol par la glande surrénale. Le cortisol exerce une action sur le métabolisme, l’immunité et les fonctions cérébrales. Deuxièmement, aura lieu une décharge de noradrénaline dans le cerveau et en périphérie par les glandes surrénales, ce qui provoquera principalement une augmentation de la vigilance, de l'anxiété ainsi qu’un renforcement de la mémorisation des souvenirs stressants. La façon dont ces événements biologiques se combinent pour déterminer le mode défensif adopté face à la situation n’est pas clairement identifié.

Chez les sujets souffrant de TSPT, les souvenirs douloureux et angoissants, les pensées et images de l’événement sont toujours présents, la survenue de flashbacks est fréquente et les cauchemars nocturnes nombreux. 
Ce type de pathologie de la mémoire, caractérisé par une impossibilité d’atténuer les souvenirs, est très superposable à celui observé dans les addictions dans lesquelles les mécanismes habituels d’apprentissage et de mémorisation sont kidnappés par les drogues dont la pensée est obsédante.
La prise de substance psychoactive, et particulièrement d’alcool, initialement pour atténuer l’anxiété provoquée par le traumatisme, se transforme progressivement en une pathologie qui vient se superposer à celle du TSPT. 
Des chercheurs ont analysé les interactions entre traumatismes, TSPT et addiction en interrogeant un groupe de 52 sujets addicts, d’âge moyen 35 ans, hospitalisés pour sevrage. 50 d’entre eux avaient subi un ou plusieurs traumatismes, le plus souvent plus de 6 mois avant l’enquête, dont les plus fréquents étaient le deuil (24 cas) et la violence sexuelle (16 cas). Un diagnostic de TSPT était porté chez vingt sujets.  La sévérité de l’addiction, la fréquence de l’émergence des souvenirs de l’événement ainsi que leur intensité étaient recueillies par questionnaire. 
Alors qu’avant la survenue du traumatisme 14 sujets ne consommaient aucun produit, ils n’étaient plus que 2 après. Les trois-quarts des sujets étudiés déclaraient avoir augmenté leur consommation de produit après le traumatisme. Dans le groupe avec TSPT, les souvenirs traumatiques, avant arrêt de la consommation, étaient notés plus intenses que dans le groupe sans TSPT. Après arrêt de la consommation, les sujets du groupe avec TSPT rapportaient plus souvent que ceux du groupe sans TSPT que la fréquence de reviviscence des souvenirs et leur intensité était plus élevée que lorsqu’ils consommaient.
Au total, la survenue d’un stress post-traumatique est souvent associée à la prise de substances psychoactives dans le but d’atténuer les souffrances psychologiques. Mais le risque d’addiction est élevé, ce qui ne fait qu’ajouter une couche supplémentaire de souffrance. 
Ceci n’exclut pas pour autant l’utilisation de substances psychoactives dans un cadre thérapeutique (voir article Des drogues pour soigner les troubles mentaux).

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Auteur(s): 
Bertrand

Nalpas

MD, PhD, Directeur de recherche émérite - Inserm

MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm

 
En cas de trouble de stress post-traumatique le risque d’addiction augmente fortement
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