2ème partie du dossier dédié aux recherches sur l'addiction aux écrans : trouble d'usage d'internet
Les premières recherches sur la possibilité de relier les ordinateurs entre eux ont débuté à la fin des années 1950, avec la mise au point du premier modem par les laboratoires Bell. Il faudra attendre 1969 pour que les ordinateurs de 4 universités américaines soient reliés entre eux. Le protocole de transmission des données TCP/IP et le mot « Internet » sont adoptés mondialement en 1983 et le World Wide Web annoncé publiquement en 1991. Si un million d’ordinateurs étaient connectés au web en 1992, ils sont plus de 4 milliards aujourd‘hui.
Le monde du XXIème siècle est, avec le développement d’internet, devenu numérique. Les canaux d’information, la télévision, la radio, les journaux, les bibliothèques, les livres sont numériques. Les services de l’Etat, paiement des impôts, demande de documents administratifs, dépôt de plainte etc... sont numériques. Au niveau professionnel, le travail et les réunions en ligne ont été institués. Au niveau individuel, l’enseignement à distance s’est développé, particulièrement suite à la pandémie du COVID19, le courrier manuscrit a quasiment disparu avec une diminution de 50% de courrier distribué par la poste en 10 ans, la vente en ligne a explosé, augmentant de 96% en 7 ans, enfin les communications et les échanges se font désormais majoritairement via internet.
L’utilisation d’internet et des écrans, que ce soit depuis un ordinateur fixe, une tablette ou un smartphone, est donc maintenant obligée et qui n’est pas équipé de ces outils et/ou réside dans une zone non ou mal connectée au réseau internet est en situation d’handicap, de «fracture numérique» situation que les gouvernements s’évertuent à réduire.
Internet a deux propriétés qui ont révolutionné le fonctionnement social. Premièrement il permet de transmettre non seulement du texte mais aussi des images et du son ; deuxièmement la transmission est instantanée. Cette rapidité de transmission a bouleversé le fonctionnement social et a conduit à la culture de l’immédiateté : les réponses aux demandes d’information et les échanges doivent être sans attente car ils le peuvent.
Ce virage vers le numérique impose de passer presque chaque jour du temps devant un écran pour de multiples raisons. Pour certain(e)s, ce sera toute la journée dans un cadre professionnel, ce qui est socialement accepté. Mais pour d’autres, le plus souvent des jeunes, ce sera pour un usage récréatif ou personnel, comportement qui suscite des interrogations des parents ou de l’entourage proche lorsqu’ils sont confrontés à leurs enfants agrippés en permanence à leur smartphone/tablette/ordinateur.
L’histoire se répète car dans les années 1930 les mêmes craintes sociales sont survenues avec l’avènement d’une nouvelle technologie, la radio. Parents et sommités médicales se demandaient si écouter la radio trop longtemps pourrait fragiliser les enfants et générer des pathologies, craintes qui font aujourd’hui sourire.
Les premières constatations des conséquences délétères d’une utilisation excessive d’internet datent des années 1996. Il était relevé entre autres une négligence des autres activités, d’éducation, de travail, de loisirs, ainsi que des effets négatifs sur les relations familiales. Les chercheurs dans ce domaine ont rapproché les troubles générés par l’excès d’internet d’abord à ceux provoqués par l’abus de substances psychoactives puis à ceux des addictions comportementales comme celle au jeu d’argent. Aujourd’hui le trouble d’usage d’internet n'est pas encore établi par la communauté scientifique et fait l'objet d'études.
Deux études ont évalué l’usage d’internet chez les jeunes adolescents européens, l’une en 2009-2010 et l’autre en 2014. Elles ont porté respectivement sur 11 956 et 18 709 âgés de 11 à 16 ans, citoyens de plus de 10 pays européens différents. Les résultats du travail de 2009-10 donnaient un pourcentage d’utilisateurs problématiques d’internet égal à 4,4%, celui de 2014 évaluait à 4,4% la fréquence d’usage modérément excessif et 1,4% celle d’usage problématique. Le moyen par lequel la connexion internet était établie et l'appareil utilisé n’étaient pas documentés. Aux USA, des fréquences allant de 0,7 à 8,1% ont été mesurées et en Asie de 2,4 à 37,9% ! La grande variabilité des résultats provient sans doute d’une part de l’outil de dépistage utilisé mais aussi des seuils de « normalité d’usage » qui peuvent varier en fonction de la culture et du taux d’équipement des pays. Les troubles d’usage d’internet étaient plus fréquents chez les garçons que chez les filles, cela pourrait au moins en partie être expliqué par le fait qu’ils sont beaucoup plus adeptes des jeux en ligne, avec une fréquence quatre à cinq fois plus élevée que chez les filles.
Une revue de la littérature a permis d’identifier 45 outils d’évaluation dans 23 langues différentes. Leurs items sont dérivés des questionnaires d’addiction aux substances ou au jeu pathologique. Dix-sept outils ont fait l’objet d’au moins 2 évaluations et 10, 3 ou plus. On peut citer par exemple l'Internet Addiction Test en 20 questions (Lien vers le site Addict'AIDE). Ces tests sont en auto-administration donc sujets à des biais. Les seuils définissant un excès sont souvent trop sensibles, influencés par des normes culturelles et ne sont pas reconnus à l’international.
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Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm