Cannabidiol (CBD), une molécule qui fait parler d’elle

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Cannabidiol (CBD), une molécule qui fait parler d’elle

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Si la commercialisation de produits contenant du Cannabidiol (CBD) pose des questions juridiques, la consommation de cette molécule a des effets connus loins de ceux de son jumeau, le THC...

Publié le: 
15/06/2018
Origine

La plante Cannabis Sativa produit deux grandes familles de molécules, les cannabinoïdes et les terpènes. Ces 2 familles sont fortement intriquées puisque les cannabinoïdes sont formés à partir des terpènes. Les terpènes sont des composants aromatiques, présents dans de nombreuses plantes et à l’origine de leur senteur (menthol, eucalyptus, girofle…). Ils possèdent des propriétés médicinales à type anti-inflammatoire et/ou anti-septique, voire anti-cancéreuse, connues depuis l’antiquité.

Quant aux cannabinoïdes, Cannabis Sativa en contient plus de 60 mais les 2 majeurs sont le delta-9 tétrahydrocannabinol (∆9-THC) et le cannabidiol (CBD). Le ∆9-THC est responsable des effets psychoactifs du cannabis alors que le CBD est dépourvu d’effet euphorisant. La proportion de ∆9-THC et de CBD est très variable d’un plant à l’autre ; par exemple la « skunk » contient un fort taux de ∆9-THC et quasiment pas de CBD.

THC et CBD isomères

Le mode d’action du CBD est encore mal connu. Ce qui est toutefois certain est qu’il se lie très peu au récepteur CB1, contrairement au ∆9-THC. Il peut se lier aux récepteurs à la sérotonine, aux opiacés, à l’acétylcholine (récepteur où se lie la nicotine), mais, selon les données disponibles, la moitié de ses cibles sont des enzymes impliqués dans le métabolisme des médicaments.

Le CBD ne doit pas être confondu avec le cannabis « thérapeutique ». Ce dernier contient à la fois du CBD et du ∆9-THC, il est donc soumis à une réglementation stricte de prescription et de commercialisation. Le CBD, par contre, n’est pas un stupéfiant, sa détention et son commerce ne sont pas illégaux sous réserve qu’il soit pur.

Dans l’organisme

Le CBD est présenté sous forme variée : comprimé, capsule, vaporisateur, suppositoire ou huile. Le contenu annoncé en CBD varie de 6 à 50 mg par dose. Une étude récente sur les huiles de CBD a montré que les taux annoncés sur l’étiquette étaient loin d’être toujours exacts.

Après absorption par le tube digestif, le CBD est rapidement distribué dans l’organisme et pénètre facilement dans le cerveau. Il est métabolisé par le foie en de nombreux composés mais en aucun cas en ∆9-THC. Des études précises ont montré que, après absorption par le tube digestif, la proportion de CBD atteignant la circulation sanguine est relativement faible et qu’une large part du CBD ingéré est éliminée sous forme intacte dans les urines. En clair, une bonne partie de ce qu’on prend ne sert à rien.

Le CBD est peu toxique chez l’être humain ; des doses jusqu’à 1500 mg/jour semblent bien tolérées. A la différence du ∆9-THC, le CBD ne modifie pas le rythme cardiaque, la pression artérielle ou la température corporelle.

Effets connus

Les vertus thérapeutiques du CBD sont présentées comme nombreuses. Sur les modèles animaux, le CBD atténue les lésions cérébrales associées aux pathologies dégénératives (démence, Alzheimer…) et celles dues aux troubles ischémiques (= insuffisance d’apport en oxygène). Le CBD stimule la plasticité synaptique, réduit l’inflammation, et améliore la neurogénèse, ce qui pourrait expliquer sa capacité à atténuer l’anxiété et la dépression.

Les résultats obtenus jusqu’alors chez l’homme sont intéressants mais plus mitigés. Les travaux menés chez les usagers de cannabis ont clairement montré que la présence de CBD dans le joint atténuait les effets nocifs du ∆9-THC sur les fonctions cognitives. Par exemple une étude a inclu 134 jeunes usagers réguliers de cannabis à qui un test de mémoire était effectué à 2 reprises à 1 semaine d’intervalle pendant laquelle ils fumaient leurs joints comme à leur habitude. Ceux dont les joints étaient pauvres en CBD, moins de 1%, avaient des résultats nettement inférieurs à ceux dont la teneur des joints en CBD était élevée, en moyenne 5%. Un tel résultat a été confirmé par d’autres expériences. Par exemple, l’administration préalable de 600 mg de CBD prévenait les troubles de mémoire provoqués par 1,5 mg de ∆9-THC administré en intraveineux. Ou encore, le ∆9-THC (8 mg en inhalation) seul augmentait les émotions négatives provoquées par la présentation d’images effrayantes mais l’administration conjointe de 16 mg de CBD annulait cet effet, phénomène expliqué plus en détail dans l’article Cannabis et Bad Trip.

Chez les sujets non-usagers de cannabis, les travaux disponibles montrent que le CBD, à la dose de 30 à 600 mg, n’a guère d’effet sur le niveau d’anxiété de base. Par contre le CBD semble diminuer l’anxiété provoquée par une situation stressante. Un essai a montré qu’une dose de 32 mg de CBD facilitait l’oubli des peurs conditionnées par un stress antérieur, suggérant son intérêt dans le traitement des syndromes de stress post-traumatique.

L’interaction entre CBD (320 mg) et alcool (équivalent de 3 verres) a été analysée dans une autre étude chez 15 sujets. Le CBD ne modifiait pas l’alcoolémie et les effets objectifs de l’alcool sur les performances cognitives étaient les mêmes avec ou sans CBD.

Chez le rat, le CBD augmente le temps de sommeil. Chez l’homme, il est plus difficile de se prononcer. En effet une  étude ancienne a mis en évidence un effet bénéfique sur le sommeil pour des doses de CBD allant de 40 à 160 mg mais les résultats étaient subjectifs, car obtenus par questionnaire. A l’inverse, l’enregistrement du sommeil de 27 sujets a montré que ni le temps ni l’architecture du sommeil n’étaient modifiés par 300 mg de CBD.

Pistes thérapeutiques

L’utilisation du CBD chez des patients ayant des pathologies neurologiques ou psychiatriques est à un stade d’exploration. Par exemple des travaux préliminaires suggèrent que le CBD pourrait être utilisé pour traiter les formes sévères d’épilepsie résistantes aux médicaments habituels. De même chez les psychotiques le CBD permettrait d’atténuer, quoique modérément, les symptômes de la maladie.

Son effet sur les situations stressantes a conduit à tester le CBD comme aide au sevrage de tabac. Chez 16 fumeurs, dont la moitié recevait un placebo, l’administration à la demande de CBD en vaporisateur pendant 1 semaine a permis de réduire la consommation déclarée de tabac d’environ 40% (contre environ 10% avec le placebo) ; l’envie de fumer, le craving, n’était pas modifié et l’effet du CBD a disparu dès son arrêt. Ces résultats préliminaires encourageants attendent confirmation.

Du fait de son impact sur les enzymes métabolisant les médicaments, le CBD peut potentiellement modifier leur action, et réciproquement. Par exemple la rifampicine, un antibiotique, augmente la concentration de CBD dans le sang alors que le kétoconazole, un produit contre les infections dues à des champignons, la diminue ; également la prise de CBD interfère avec les anti-épileptiques ce qui impose d’ajuster les posologies. Toutefois, peu de données sur ces interactions sont disponibles car le CBD n’a pas été jusqu’alors considéré comme un produit d’intérêt pour la recherche. Il faut néanmoins y penser en cas de prise de CBD si, au même moment, un traitement médicamenteux est en cours.

Au final, le CBD fait partie des nombreuses molécules contenues dans les plantes ayant des effets principalement antioxydants et apaisants dont les effets peuvent être intéressants dans certaines situations.

Sa caractéristique majeure, qui n’a rien à voir avec ses propriétés thérapeutiques mais qui provoque l’engouement actuel dans lequel s’engouffre le commercial, est qu’il est extrait de Cannabis Sativa. S’il était extrait de la tomate, il provoquerait sans doute moins de fièvre sociale !

Auteur(s): 
Bertrand

Nalpas

MD, PhD, Directeur de recherche émérite - Inserm

MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm

 
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