Peut-on se vacciner contre l’addiction ?

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Peut-on se vacciner contre l’addiction ?

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On connaît aujourd’hui les conséquences de l’addiction sur le fonctionnement du cerveau : comme pour une maladie, les scientifiques cherchent un remède, et étudient des vaccins contre la nicotine, la cocaïne et même l’alcool. Alors, est-ce que ça marche ?

Publié le: 
16/06/2017

Lorsqu’on parle de vaccination, on pense le plus souvent aux virus, ces éléments extérieurs invisibles susceptibles d’attaquer le corps et de nous rendre malade. Mais on cherche aussi parfois à guérir des maladies dont on ne connaît pas exactement l’origine comme cette mystérieuse mutation observée chez les héros des films X-men. Dans L’Affrontement Final, le troisième volet sorti en 2006, les scientifiques du film réussissent à créer un vaccin anti-mutant, une annonce qui déclenche une série de questions et un conflit entre les groupes de mutants : y-a-t-il vraiment un vaccin ? est-ce qu’il fonctionne ? faut-il l’utiliser ?

Comment fonctionne un vaccin ?

Chaque être humain est unique. Toutes les cellules de l’organisme portent un marquage spécifique propre à chacun qui signe le « soi ». Tout ce qui ne fait pas partie de « soi », le « non-soi », et en particulier tous les agents infectieux que nous rencontrons est purement et simplement éliminé. Pour ce faire l’organisme s’appuie sur un système de défense, le système immunitaire qui dispose de plusieurs mécanismes d’action. Très schématiquement tout micro-organisme, toute molécule, pénétrant ou circulant dans l’organisme est immédiatement passé au crible, est scanné, par des cellules spécialisées, les leucocytes. Si le code, le mot de passe, est conforme, rien ne se passe. Dans le cas contraire cela déclenche une cascade de réactions qui aboutit à la destruction du suspect.

Un de ces mécanismes de défense repose sur la production d’anticorps spécifiques par un type de leucocyte appelé lymphocyte. Les anticorps sont dirigés contre des motifs particuliers de la molécule appelés antigènes. Si la molécule ou l’agent circulant est « étranger », les lymphocytes vont synthétiser, c.a.d. fabriquer des anticorps qui vont se lier aux antigènes de la molécule, les « neutraliser » dans le jargon des immunologistes, ce qui va empêcher la molécule de pénétrer dans les cellules, l’ensemble étant ensuite détruit et éliminé.

Reconnaissance de l’antigène d’une bactérie par un anticorps spécifique sur un lymphocyte
Reconnaissance de l’antigène d’une bactérie par un anticorps spécifique sur un lymphocyte
Crédit : Canopé-CNDP/Universcience/MGEN/Inserm/EDUCAGRI
Pour en savoir plus, vidéo : https://www.reseau-canope.fr/corpus/video/l-immunite-adaptative-43.html

Des anticorps « inutilisés » vont subsister et les lymphocytes vont garder en mémoire la nature de l’antigène. Ainsi au cas où ce dernier serait à nouveau présent dans la circulation, non seulement des anticorps sont de suite disponibles pour le neutraliser, mais de plus, leur synthèse par les lymphocytes sera plus rapide. Ce phénomène est appelé la réaction immunitaire.

C’est sur ce principe que repose la vaccination. On «sensibilise» l’organisme à un agent infectieux en en injectant une petite quantité sous une forme dénaturée, c.a.d. sans danger. Les lymphocytes l’identifient comme étranger et produisent des anticorps. On est donc ensuite armé contre une éventuelle attaque.

Neutralisation d’un agent infectieux identifié lors de la réponse immunitaire
Neutralisation d’un agent infectieux identifié lors de la réponse immunitaire
Crédit : Canopé-CNDP/Universcience/MGEN/Inserm/EDUCAGRI
Pour en savoir plus, vidéo : https://www.reseau-canope.fr/corpus/video/la-memoire-immunitaire-44.html

Les produits psychoactifs comme l’alcool, la cigarette ou le cannabis, qu’ils soient ingérés ou inhalés, atteignent le cerveau par voie sanguine.

Aussi a germé l’idée de réduire voire d’empêcher les substances psychoactives de pénétrer dans le cerveau en les neutralisant par des anticorps. En conséquence les produits n’auraient plus aucun des effets psychoactifs recherchés, donc il n’y aurait aucun intérêt à en consommer.

Qu’est-ce qu’un vaccin contre les substances psychoactives ?

Deux voies ont été envisagées : la première est celle d’une vaccination, l’organisme synthétisant lui-même les anticorps contre la substance ; la deuxième est celle de l’administration à intervalles réguliers d’anticorps préparés industriellement.

Les chercheurs se sont heurtés  à plusieurs difficultés qui sont loin d’être encore résolues. Premièrement la nicotine, la cocaïne, l’héroïne etc… sont des molécules trop petites pour être naturellement antigéniques. Pour déclencher la réaction immunitaire et la production d’anticorps, elles doivent être couplées à une protéine. Mais quand on prend un produit, il est dans son état naturel non couplé à une protéine. Tout l’enjeu est donc de mettre au point des vaccins produisant des anticorps capables de reconnaître et neutraliser la molécule sans cette protéine. Deuxièmement la production d’anticorps doit être massive en raison de la grande quantité de substance arrivant brutalement dans la circulation et qui, de plus, doit être neutralisée le plus rapidement possible pour réduire au maximum sa pénétration dans le cerveau. Cette demande de production d’anticorps, à la fois en quantité et en vitesse, est largement supérieure à celle qui se produit normalement suite à la pénétration d’un agent infectieux.  

A ce jour des travaux de mise au point de vaccins contre la nicotine, la cocaïne, l’héroïne, l’oxycodone (analgésique très puissant de la famille des opioïdes, classé comme stupéfiant), la méthamphétamine ont été effectués mais les résultats les plus avancés concernent la nicotine et la cocaïne.

Vaccins anti-nicotine

NicQb, Niccine, NicVax, TA-Nic, sont les noms des premiers vaccins anti-nicotine qui ont été proposés par diverses firmes pharmaceutiques. Leur efficacité sur l’arrêt complet du tabac a été testée dans des essais cliniques rigoureusement menés. Les participants étaient des fumeurs désirant rompre avec cette dépendance. Le protocole consistait à injecter par voie intra-musculaire une dose de vaccin par mois pendant 3 à 5 mois suivi ou non d’un rappel. Les participants étaient suivis au total pendant 1 an.  La tolérance au vaccin était correcte hormis un syndrome grippal de faible intensité dans les 12H suivant l’injection. L’analyse par imagerie cérébrale montrait que l’administration du vaccin s’accompagnait d’une réduction de la fixation de nicotine sur les récepteurs nACHr.

En moyenne, sur l’ensemble des sujets étudiés, la vaccination n’était pas efficace, le taux d’arrêt du tabac à 1 an étant similaire chez les vaccinés et les non-vaccinés. Par contre pour deux vaccins, NicQb et NicVax, le taux d’arrêt du tabac à 1 an était nettement supérieur (41,5%) à celui des non-vaccinés (21,3%) chez le groupe de sujets qui développaient une forte réponse en anticorps. Toutefois ces « bons répondeurs » étaient peu nombreux, environ 30%, et d’autre part aucun indice ne permettait de les distinguer des « mauvais répondeurs » avant la vaccination.

Ces travaux ont validé l’intérêt de la vaccination mais  les vaccins testés n’avaient pas un pouvoir antigénique suffisant. Leur développement a été arrêté mais  d’autres sont en évaluation comme le NIC7-001 pour lequel on attend les résultats d’un essai clinique.

Un autre vaccin, à base de nanoparticules de nicotine (le SEL-068), actuellement en cours d’expérimentation sur les modèles animaux, donne des résultats prometteurs grâce à un pouvoir immunogène puissant. Sa particularité réside dans le fait qu’il est surtout efficace chez les animaux naïfs, c’est-à-dire n’ayant jamais été exposé à la nicotine, que chez ceux en ayant déjà reçu. Au cas où l’efficacité de ce vaccin serait démontrée chez l’être humain, son utilisation se ferait alors à titre préventif avant toute prise de nicotine.

Vaccins anti-cocaïne

Deux essais cliniques du vaccin TA-CD ont été effectués. Dans les deux cas, le protocole consistait en 5 injections de vaccin au cours des 3 premiers mois, les participants étaient suivis 6 mois. L’efficacité était évaluée par le nombre d’échantillons d’urines négatifs pour la cocaïne, les échantillons étant recueillis 3 fois par semaine. La première étude concernait des sujets cocaïnomanes poly-toxicomanes ayant un traitement de substitution par méthadone. La réduction de consommation était plus élevée (45%) chez les sujets qui avaient développé les plus forts taux d’anticorps que chez les autres sujets (35%). Mais là encore, ce groupe représentait seulement 40% des sujets participant à l’essai.

La deuxième étude a été menée chez 300 cocaïnomanes non poly-toxicomanes. Aucune différence entre vaccinés et non-vaccinés n’a pu être mise en évidence, contredisant donc les résultats obtenus dans la première étude.

L’explication de ces discordances est probablement la même que pour les vaccins anti-nicotine, le pouvoir immunogène n’est pas assez puissant. Le développement du TA-CD a été arrêté.

Un autre vaccin, le dAd5GNE, est en première phase d’évaluation, celle qui consiste à s’assurer de son innocuité.

Le cas du “vaccin” anti-alcool

Présenté à grand bruit en 2013 comme la solution miracle contre les consommations excessives, le vaccin anti-alcool n’en était pas un. Il ne s’agissait pas de créer une réaction immunitaire avec production d’anticorps anti-alcool mais d’administrer une molécule capable de modifier l’expression d’un des gènes du métabolisme de l’alcool. C’était donc de la thérapie génique.

Dans le foie l’alcool est transformé en acétaldéhyde puis en acétate avant d’être éliminé. Le passage d’acétaldéhyde en acétate est sous la dépendance d’une enzyme appelée « aldéhyde déshydrogénase» ; lorsqu’on réduit l’activité de cette enzyme, l’acétaldéhyde passe dans la circulation sanguine et provoque des manifestations très désagréables à type de nausées, vomissements, rougeur de la face, tachycardie… ce qui fait qu’on n’a plus très envie de boire. Un médicament, le disulfiram, dont la propriété est de réduire l’activité de l’enzyme, est d’ailleurs commercialisé mais comme il doit être pris tous les jours, les chercheurs ont proposé une solution alternative, plus radicale.

L’expression des gènes comprend trois phases :

  • la transcription qui consiste à lire l’ADN du gène et synthétiser l’ARN

  • l’exportation de l’ARN hors du noyau de la cellule, c’est l’ARN messager (ARNm),

  • et enfin la traduction, c’est dire la synthèse des protéines par la lecture de l’ARNm. Le principe de la thérapie génique consiste à fabriquer puis à injecter une séquence d’ARN complémentaire à celle de l’ARNm ; les deux brins d’ARN vont alors s’accoler aussi l’ARNm ne pourra être lu ni traduit en protéine.  

Les chercheurs ont donc synthétisé un ARN complémentaire du gène codant pour l’aldéhyde déshydrogénase. Ils l’ont injecté à des animaux de laboratoire qui avaient été rendus dépendants à l’alcool. Les résultats ont montré que l’enzyme aldéhyde déshydrogénase voyait son activité considérablement réduite, que la concentration d’acétaldéhyde dans le sang s’élevait et que les animaux réduisaient leur consommation d’alcool d’environ 50%, à partir du 10ème jour environ après l’injection. L’effet thérapeutique durait environ 1 mois.

De là à passer à l’homme, le pas est grand et n’a pas encore été franchi. On se heurte en effet à plusieurs obstacles. Le premier est la durée d’efficacité du traitement, paramètre qui n’a pas été évalué. Deuxièmement l’acétaldéhyde est une molécule toxique pour l’organisme ; son rôle dans la survenue des cancers de la gorge et de l’œsophage est sérieusement suspecté, aussi sa présence dans le sang à forte concentration pourrait avoir des effets secondaires ennuyeux. Enfin la consommation d’alcool n’était pas réduite à zéro, ce qui réduit la cible thérapeutique.

Les chercheurs ont annoncé en 2013 qu’un premier essai chez l’être humain allait débuter sous peu. A ce jour aucun résultat n’a été communiqué.

Recherches sur l’injection d’anticorps

L’administration d’anticorps a pour nom l’immunothérapie. A ce jour, seuls des travaux concernant des anticorps dirigés contre la méthamphétamine ont été publiés. En 2014, un essai d’innocuité a été réalisé sur 42 volontaires sains. Les résultats ont montré que les anticorps étaient bien tolérés. Des analyses détaillées ont permis d’évaluer à 20mg/kg la dose d’anticorps permettant de traiter une dose de 30mg de méthamphétamine (la dose moyenne contenue dans un comprimé) ; l’administration des anticorps devrait être renouvelée tous les mois. On peut s’attendre à une poursuite du développement mais rien ne garantit aujourd’hui que les essais d’efficacité soient satisfaisants.

Au total, le vaccin contre l’addiction à tel ou tel produit n’existe pas encore, mais la stratégie est jugée pertinente et plusieurs groupes de recherche continuent à travailler dans cette voie. Il est certain que l’éventuelle commercialisation de vaccin anti-addiction efficace ne manquera pas de poser des questions éthiques.

Un peu comme dans L’Affrontement Final des X-men, il faudrait se demander : Dans quelles conditions serait administré ce vaccin ? A qui serait-il accessible ? Un parent pourrait-il le faire administrer à son enfant ? La vaccination pourrait-elle devenir obligatoire ?

Auteur(s): 
Bertrand

Nalpas

MD, PhD, Directeur de recherche émérite - Inserm

MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm

relecteur(s): 
David

Klatzmann

Chercheur en Immunologie à l'Inserm

David Klatzmann est Chercheur spécialisée en Immunologie-Immunopathologie-Immunothérapeutique UMR7211, Inserm U959

Louise

18 ans

Maëline

16 ans
 
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