L'alcool est une drogue

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L'alcool est une drogue

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Histoire brève de l’alcool, une substance psychoactive qui n’a pas toujours été légale et qui n’a pas toujours été considérée comme une drogue...

Publié le: 
16/03/2018

Bière, vin, digestifs, apéritifs, liqueurs sont des boissons dont les producteurs clament les vertus gustatives, rafraîchissantes, stimulantes ou bénéfiques pour la santé. Obtenues par fermentation ou par distillation, toutes ces boissons ont un dénominateur commun, l’éthanol, plus connu sous le nom d’alcool, dont la formule chimique est CH3CH2OH.

L’ivresse procurée par l’alcool est connue depuis la nuit des temps. Dyonisos, chez les grecs, Bacchus chez les romains sont les dieux du vin et de ses excès ; Noé, après le déluge, cultiva la vigne et s’enivra ; Loth sous l’influence de l’alcool s’accoupla avec ses filles et les engrossa….

En France, les troubles liés à l’excès d’alcool commencent à mobiliser certains groupes sociaux à la fin du 19ème siècle. En effet, les paysans ont obtenu le droit de distiller une partie de leur récolte, aussi la consommation d’alcools forts augmente nettement et vient concurrencer celle du vin. La boisson d’alors à la mode est l’absinthe, consommée entre autres par de nombreux artistes dont Verlaine et Van Gogh. Soupçonnée de rendre fou, devenue le symbole et la cause de l’alcoolisme, les ligues anti-alcooliques prennent l’absinthe pour cible et obtiennent son interdiction par le gouvernement en mars 1915.

Aux Etats-Unis, les désordres causés par l’alcool et la montée de mouvements de moralisation de la vie publique conduisent dès 1905 certains Etats à interdire l’alcool sur leur territoire ; la prohibition sera généralisée à l’ensemble des Etats  en 1919 et durera jusqu’à 1933. La Finlande adopta la même règle de 1919 à 1932 et la Russie interdit la vente libre de vodka de 1914 à 1925. Les difficultés à faire appliquer ces lois, les risques liés à la consommation de produits non réglementés et l’énorme manque à gagner des taxes sur l’alcool sont venus à bout des résolutions de ces gouvernements. Cependant cette période historique continue de fasciner les cinéastes, des films de gangsters classiques comme Les Incorruptibles de Brian de Palma (1987) au dernier film de Ben Affleck, Live by night (2017).

 

A partir des années 1960, la diffusion d’autres substances psychoactives, cannabis, cocaïne, LSD, héroïne conduit les gouvernements à réagir et à prononcer leurs interdictions de vente et de consommation, sans mention pour l’alcool.

En France en 1982 est créée la « mission permanente de lutte contre la toxicomanie »  qui devient la « mission interministérielle de lutte contre la toxicomanie » (MILT) en 1985 et devient en 1996 la « mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie » (MILDT). La MILDT prépare et met en oeuvre les décisions du comité interministériel de lutte contre la drogue et de prévention des dépendances. Initialement son champ de compétences englobe les drogues dites « illicites », l’alcool n’y figurant pas.

Le paysage va être bouleversé par la publication en 1998 d’un rapport sur la dangerosité des drogues commandé par le secrétaire d’état à la santé, Bernard Kouchner. Rédigé par un pharmacologue, Bernard Roques, le rapport chamboule les idées reçues en établissant une classification des drogues sans préjuger de leur caractère licite ou illicite mais en se fondant sur la dépendance physique, la dépendance psychique, la neurotoxicité, la toxicité générale, la dangerosité sociale. Pour chacun de ces items la réponse concernant l’alcool était très forte ou forte. La conclusion du rapport est que l'alcool et le tabac sont, tout comme l'héroïne, les produits les plus nocifs.

Ce rapport met les professionnels du vin et des alcools en émoi car leurs produits sont en accusation et mis au même niveau que les drogues les plus « dures ».  Malgré l’agitation des lobbies, un arrêté publié en 1999 élargit le champ de compétences de la MILDT à l'ensemble des substances psychoactives, licites et illicites, alcool et tabac inclus.

L’alcool contenu dans les boissons doit être rangé parmi les drogues. Même si dans l’imaginaire, boire un verre contenant de l’alcool ne ressemble en rien à une injection intraveineuse d’héroïne, les deux molécules présentent toutes les caractéristiques d’une drogue. En effet, en 2006, l’Académie de médecine a adopté à l’unanimité de ses membres la définition suivante du mot « drogue » :

Substance naturelle ou de synthèse dont les effets psychotropes suscitent des sensations apparentées au plaisir, incitant à un usage répétitif qui conduit à instaurer la permanence de cet effet et à prévenir les troubles psychiques (dépendance psychique), voire même physiques (dépendance physique), survenant à l’arrêt de cette consommation qui, de ce fait, s’est muée en besoin. A un certain degré de ce besoin correspond un asservissement (une addiction) à la substance ; le drogué ou toxicomane concentre alors sur elle ses préoccupations, en négligeant les conséquences sanitaires et sociales de sa consommation compulsive.

L’alcool remplit toutes les conditions de cette définition. Si le nombre de personnes dépendantes de l’alcool n’est pas connu avec précision, les enquêtes épidémiologiques estiment qu’environ 8% des français âgés de 18 à 75 ans présentent des risques élevés de dépendance et de maladies chroniques du fait de leur  consommation excessive. Sachant en plus que 85000 personnes ont consulté pour un problème d’alcool dans les centres de soins spécialisés - CSAPA - en 2016, il n’y a plus de doute, l’alcool, quelle que soit la forme sous laquelle il est présenté, est bien une drogue.

Quant à la MILDT, elle a encore évolué en 2013 et est devenue MILDECA (Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues Et les Conduites Addictives) en étendant son champ d’action aux comportements addictifs c.a.d. les addictions sans produit comme les jeux d’argent et bientôt les jeux vidéo. Là, le cinéma semble avoir pris les devants en nous projetant dans des films de science fiction comme Avalon de Mamoru Oshii (2001) ou Tron Héritage de Josef Kosinski (2010) où le joueur devenu addict risque de rester “bloqué” dans le jeu.

Auteur(s): 
Bertrand

Nalpas

MD, PhD, Directeur de recherche émérite - Inserm

MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm

 
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