Impact des drogues sur la santé bucco-dentaire

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Impact des drogues sur la santé bucco-dentaire

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Les effets des drogues sur la bouche sont multiples, de la simple sécheresse buccale jusqu’au cancer : explications des principales conséquences des addictions sur la santé bucco-dentaire.

Publié le: 
04/10/2018

Le risque d’addiction associé à la consommation de substances psychoactives fait souvent oublier leur impact sur le corps, surtout si on a tendance à le négliger. C’est en particulier le cas pour l’hygiène dentaire : si prendre soin de ses dents ne réduit pas la dépendance à une drogue, cela peut certainement aider à réparer certains des dommages qu’elle cause, à moins que cela ne donne envie d’arrêter ?

Sécheresse buccale

La salive qui baigne la cavité buccale possède de nombreuses propriétés nécessaires à une bonne santé bucco-dentaire. Elle humidifie les muqueuses pour les protéger et faciliter l’élocution, elle lubrifie les aliments ingérés pour faciliter leur déglutition et aider à leur digestion. Elle possède aussi une activité antimicrobienne et un pouvoir tampon permettant de lutter contre l’acidité qui survient après manger afin de protéger les dents d’une déminéralisation qui, à terme, aboutit aux caries.
Malheureusement, presque toutes les drogues (opiacés, amphétamines, barbituriques, hallucinogènes, benzodiazépines, cannabis, alcool et tabac) engendrent une diminution de la production de salive (=hyposialie) générant une sécheresse buccale (=xérostomie) plus ou moins importante. On assiste alors à de nombreuses conséquences néfastes : muqueuses buccales rouges et vernissées ; difficultés à parler, mastiquer et déglutir sans boire ; douleur de la langue (=glossodynie) et de l’ensemble de la bouche (=stomatodynie) ; diminution du pH buccal ; formation favorisée de plaque (=agrégat de bactéries), tartre, caries …

La consommation de drogues nuit à la qualité et surtout à la quantité de salive produite.

 

Atteinte des dents

Plusieurs études montrent une appétence majorée pour les produits sucrés chez les consommateurs de drogues car le sucre stimulerait certaines zones du cerveau de façon analogue à certaines substances psychoactives.

Ces apports sucrés fréquents alimentent les bactéries de la plaque dentaire qui produisent alors de l’acide qui déminéralise les dents et génère les caries. De plus, la faible quantité de salive produite chez les personnes souffrant d’addiction réduit son pouvoir tampon (c’est-à-dire sa capacité à maintenir le pH dans la bouche à une valeur presque constante) et ne permet ainsi plus de lutter efficacement contre la baisse de ce pH intra-buccal aggravant l’apparition de caries.

Enfin, dans le cas des opiacés (opium, morphine, héroïne, méthadone, codéine etc.) les douleurs dentaires habituellement présentes lors du développement carieux sont masquées. Le besoin de consulter un chirurgien-dentiste à des stades de moindre gravité se fait moins ressentir et les caries continuent de se développer.  

Les usagers de substances psychoactives sont particulièrement touchés par les caries, et ce, avec une progression rapide.

Les consommateurs de méthamphétamine et d'héroïne sont certainement les personnes les plus violemment touchées par les caries. Les dents se carient d’abord au niveau des collets (le long de la gencive) puis les caries s’étendent jusqu’à fracture des dents qui se retrouvent ainsi à l’état de racine en peu de temps. La personne paraît alors vieillie, elle présente des difficultés à mastiquer, un sourire inesthétique qui peut accentuer la perte d’estime de soi, auxquels s’ajoutent des douleurs et des infections dentaires à répétition. La personne addicte peut alors se retrouver dans un cercle vicieux où l’accentuation de sa perte d’estime de soi réduit encore son intérêt pour l’hygiène bucco-dentaire favorisant encore plus les caries et où les douleurs dentaires poussent à la consommation accrue de substances psychoactives pour tenter d’apaiser la douleur.

Selon une étude portant sur des personnes de 35 ans qui avaient consommées de l’héroïne pendant près de 11 ans, on observait en moyenne 10 dents absentes et 10 dents cariées dont 6 à extraire. De plus, le sevrage restait une étape à risque carieux lorsque le traitement substitutif était constitué de méthadone sous forme de sirop car sa forte teneur en sucre, son pH très acide, sa viscosité ainsi que son inhibition de la sécrétion salivaire en font un produit lui aussi très cariogène.

Outre le risque carieux, la consommation de certaines substances, telles que l’héroïne, la cocaïne ou les amphétamines, peut favoriser le grincement des dents (=bruxisme) ce qui génère, à terme, une usure des faces masticatoires (= qui permettent de mâcher) des dents ou des fractures des dents déjà cariées. D’autre part, des usures au collet des dents (=l’abrasion) peuvent découler de la consommation de cocaïne et particulièrement de crack soit par son application au contact des dents, soit par les brossages intempestifs très vigoureux décrits lors des situations de manque ou lors des hallucinations sensorielles de type fourmillement.   

Concernant la consommation aiguë d’alcool (voir l’article Le binge drinking du point de vue scientifique), le risque dentaire principal est traumatique : canettes décapsulées avec les dents, chutes, accidents de la voie publique et bagarres (voir l’article L’alcool est-il la cause des bastons ?). On retrouve alors régulièrement des fractures dentaires mettant parfois en jeu la vitalité des dents traumatisées, des fractures de l’os soutenant les dents et des blessures des tissus mous comme les lèvres. D’autre part, l’alcoolisation aiguë peut aussi engendrer des vomissements (voir l’article Pourquoi vomit-on quand on a trop bu ?), or le rejet par la bouche du contenu de l’estomac est très acide et si les vomissements sont réguliers les dents subissent des attaques acides répétées donnant lieu à des érosions dentaires.

Plus légèrement, fumer ou chiquer du tabac engendre des colorations inesthétiques dans des teintes allant du jaune au noir à la surface des dents et des colorations noires au niveau des sillons et fissures dentaires et de la langue. Mâcher du bétel ou de la noix d'arec, plantes médicinales utilisées en Asie et ayant également des propriétés psychoactives, donne une teinte acajou aux dents.

Dégradation de l’haleine et du goût

Manger est vital mais pas uniquement, consommer des aliments goûteux provoque du plaisir ! Encore faut-il pouvoir les savourer… Ainsi, des troubles gustatifs (=dysgueusie) peuvent survenir en raison de la sécheresse buccale induite par les drogues et qui affecte le fonctionnement des récepteurs du goût présents en bouche. Les altérations du goût peuvent aussi être dues à l’action directe de certaines substances addictives : un tabagisme important élève le seuil au goût salé ce qui conduit à trop saler ses plats. La cocaïne lorsqu’elle est appliquée sur les muqueuses buccales peut diminuer la sensibilité gustative dans l’ordre amer, sucré, salé et acide.

Une mauvaise haleine (=halitose) est également fréquente en raison d’une mauvaise hygiène bucco-dentaire, de foyers infectieux, de maladies parodontales, de l’hyposialie et de perturbations de l’écologie microbienne buccale. Enfin, certaines substances sont par nature directement responsable de la mauvaise haleine, comme par exemple le tabac.

 

Atteinte des tissus de soutien des dents

Comparé à la population générale, les personnes addictes développent plus fréquemment et plus intensément des maladies parodontales. Diverses manifestations de l’atteinte des tissus de soutien des dents (gencive et os qui supporte les dents) peuvent apparaître, les plus fréquemment retrouvées sont :

  • La gingivite : la gencive devient rouge, gonflée (=œdématiée) et saigne lorsqu’on se brosse les dents ou même spontanément. Cette inflammation gingivale est due à la présence de la plaque dentaire au collet des dents (le long de la gencive).
  • La parodontite : les bactéries de la plaque dentaire passent sous la gencive et engendrent une destruction irréversible de l’os soutenant les dents, formant des espaces appelés poches parodontales. Cette maladie d’évolution lente et généralement silencieuse conduit à terme à la mobilité des dents puis à leur perte lorsqu’il n’y plus suffisamment d’os pour les maintenir.
  • Les abcès parodontaux : parfois les bactéries présentes dans les poches parodontales engendrent un processus infectieux s’exprimant par la formation de pus qui fait gonfler la gencive.

Certains produits consommés ont également des actions spécifiques :

  • Le tabac provoque des vasoconstrictions des petits vaisseaux sanguins qui altèrent la circulation sanguine au sein de la gencive et de l’os sous-jacent. Ceci masque les saignements de la gingivite et favorise le développement des parodontites en altérant les défenses immunitaires locales et en contribuant au développement de bactéries pathogènes au sein de la plaque dentaire. De plus, le processus de cicatrisation est altéré : les suites post-opératoires d’une extraction dentaire, par exemple une dent de sagesse, peuvent se compliquer.
  • L’alcool, par son action irritative et de modification de la flore microbienne buccale, favorise les parodontites.
  • La cocaïne appliquée sur la gencive engendre une inflammation de cette dernière qui devient rouge, peut saigner, voire s’ulcérer (sorte d’aphte) et nécroser (=mort des cellules de la gencive). Répétées dans le temps, ces applications peuvent conduire à une lésion de l’os sous-jacent. On retrouve aussi ce processus lorsque des substances psychoactives sont sniffées et cela peut aller de la simple irritation de la muqueuse nasale jusqu’à une perforation nasopalatine, c'est-à-dire la formation d’une ouverture entre le nez et le palais (plafond buccal). Cette voie de communication conduit les sécrétions nasales à s’écouler directement dans la cavité buccale et inversement, toute substance ingérée pourra rejoindre les fosses nasales.
  • L’héroïne, la méthamphétamine et le cannabis sont aussi des substances pouvant causer des problèmes parodontaux.
Atteinte des muqueuses buccales

Les drogues, quel que soit le mode de consommation, altèrent l’écosystème microbien local et le système immunitaire. Lorsque s’ajoute une mauvaise hygiène bucco-dentaire, cela favorise le développement d’infections fongiques (champignons) qui se caractérisent généralement par le dépôt d’un enduit blanc à la surface des muqueuses buccales et se détachant au grattage.

Les fumeurs peuvent aussi présenter des brûlures chroniques du palais ou des lèvres dues à la chaleur dégagée par la cigarette, voire développer des mélanoses qui sont des hyperpigmentations brunes au niveau des gencives.

Les substances psychoactives peuvent engendrer bon nombre d’autres lésions des muqueuses : ainsi sont décrites des leucoplasies, sortes de plaques plissées blanchâtres épaisses se formant à la surface des muqueuses buccales et qui se transforment fréquemment en tumeurs malignes (cancers).

Cancers de la bouche

Les personnes addictes, et surtout celles qui ont une polyconsommation de produits psychoactifs, représentent la population à risque la plus importante en matière de cancers buccaux. Le tabagisme est le principal facteur de risque, qui multiplierait par 10 le risque de cancer buccal. Son effet cancérogène augmente avec la quantité quotidienne consommée et le nombre d’années de consommation mais diminue après l’arrêt du tabagisme. Puis vient l’alcoolisme et l’effet combiné de ces deux addictions fait plus que multiplier le risque par deux, on parle ainsi d’action synergique. Il en est de même pour l’association tabac-cannabis.

Au final, les substances psychoactives ont un effet néfaste sur la santé bucco-dentaire à court, moyen ou long terme. Pour une hygiène bucco-dentaire efficace, il est recommandé d’associer brosse à dents et brossette interdentaire, voire fil dentaire pour désorganiser la plaque dentaire et un dentifrice suffisamment fluoré pour reminéraliser et renforcer ses dents.

Comme Jacquouille dans Les Visiteurs, adoptez les bons gestes et le fameux « antidote contre le pourrissement ».

 

Auteur(s): 
Alexandre

Baudet

Docteur en Chirurgie Dentaire

DDS, Assistant hospitalo-universitaire – Faculté d’odontologie, Université de Lorraine – Service d’odontologie, CHRU Nancy

Thomas

Mercier

Docteur en Chirurgie Dentaire

DDS, Chargé de Mission - Plan Bucco-Dentaire
Direction de la Stratégie - Département Politique Régionale de Santé – Agence Régionale de Santé Grand Est
 

Céline

Clément

Docteur en Chirurgie Dentaire

DDS, PhD, Maître de conférences des universités, Praticien hospitalier – Faculté d’odontologie, Université de Lorraine – Service d’odontologie, CHRU Nancy

 
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