Fumer rend-il plus attentif ?

5 mins

Fumer rend-il plus attentif ?

Articles

Si certains consommateurs témoignent des effets du tabac sur leur capacité d’attention, les études ont permis de mettre en évidence un lien au niveau des neurones avec les récepteurs à acétylcholine...

Publié le: 
01/06/2018
Qu’est-ce que l’attention ?

L’attention est une composante de toutes les fonctions cognitives comme la mémoire, le langage, la planification ou encore l’orientation. Elle est classiquement divisée en deux domaines, la sélectivité et l’intensité. 
La sélectivité englobe deux modalités : l’attention focalisée est la capacité à se concentrer en éliminant les facteurs distractifs, et l’attention divisée permet de réaliser deux tâches en même temps. 
L’intensité de l’attention peut être soit phasique, soit soutenue. Une intensité phasique correspond à la capacité à mobiliser son attention en réponse à un signal. Une intensité soutenue permet le maintien de la concentration sur une tâche précise pendant une durée prolongée. 
En pratique expérimentale ou clinique, l’attention est mesurée par différents tests : temps de réflexion avant une réponse, capacité de sélectionner une source sonore parmi d’autres, recherche de cibles spécifiques ou identiques noyées dans un tableau (type « Où est Charlie ? »), comptage à l’envers etc… 
L’attention est régie par des réseaux de neurones à acétylcholine et particulièrement ceux situés dans le cortex préfrontal. L'acétylcholine est un neurotransmetteur qui, bien que produit en petite quantité dans le cerveau, joue un rôle primordial dans l’attention, l’éveil, l’apprentissage et la mémoire. L'acétylcholine se lie à deux types de récepteurs, l’un dit muscarinique et l’autre dit nicotinique car la nicotine peut également s’y fixer. La nicotine est donc un facteur potentiel d’activation de l’attention. Mais qu’en est-il en réalité ?

Les tests d’attention sous nicotine

Les travaux expérimentaux menés chez l’animal concluent de façon consensuelle que les lésions des réseaux de neurones à acétylcholine diminuent de façon nette l’attention de type soutenue et que, contrairement, l’administration de nicotine l’améliore. 
Chez les humains, une difficulté à se concentrer, à fixer son attention, est une plainte fréquente des fumeurs en période de sevrage de tabac, volontaire ou non. Un grand nombre d’études ont été menées pour étudier l’impact de la nicotine sur l’attention. La compilation des résultats d’une quarantaine de ces études portant sur des non-fumeurs ou des fumeurs à qui de la nicotine était administrée en quantité variable a conclu que la nicotine améliorait en particulier l’attention focalisée. L’effet était toutefois modeste et, de plus, était présent chez les fumeurs dans certaines études et chez les non-fumeurs dans d’autres. Des expérimentations plus précises permettent d’y voir un peu plus clair. 
Un travail a été mené chez 30 non-fumeurs d’âge moyen 23 ans, recevant 7 mg de nicotine sous forme de patch (soit l’équivalent de 2 à 3 cigarettes). Les sujets devaient cliquer le plus rapidement possible sur la souris lorsque la cible attendue (la lettre X ou Z) apparaissait à l’écran. Si celle-ci était noyée au milieu de distracteurs simples (que des lettres O), la performance était améliorée par la nicotine mais cet effet bénéfique disparaissait si les distracteurs étaient multiples et complexes (diverses lettres de l’alphabet mélangées à des chiffres). Les sujets qui avaient de base une attention peu soutenue, autrement dit les plus distraits, étaient ceux qui profitaient le plus de la nicotine. Ce dernier résultat a été retrouvé dans une autre étude portant sur 16 jeunes non-fumeurs, d’âge moyen 22 ans ayant reçu 3 doses de 1 ou 2 mg de nicotine sous forme de spray. Chez les sujets les plus attentifs, la nicotine n’avait quasiment aucun effet sur l’attention.
Plusieurs études ont été effectuées, chez les fumeurs cette fois. L’une d’entre elles a évalué l’attention chez 28 sujets fumeurs (plus de 15 cigarettes par jour) d’âge moyen 36 ans. L’attention était mesurée par un test similaire à celui décrit précédemment. Après évaluation de leur niveau d’attention, les sujets ont été privés de tabac pendant 12 heures. En l’absence de tabac l’intensité de l’attention était notoirement diminuée mais elle revenait à son niveau après administration de 2 mg de nicotine sous forme de spray, soulignant l’emprise de la nicotine sur l’attention chez les fumeurs réguliers.

Au niveau des neurones

Le récepteur sur lequel se fixe la nicotine est constitué de 5 sous-unités qui s’assemblent en combinaisons variables selon les zones du cerveau comme l’explique la vidéo Les effets de la nicotine sur le cerveau. Des travaux ont montré que les récepteurs contenant la sous-unité β2 semblaient particulièrement impliqués dans l’attention. Ces récepteurs, abondants dans le cerveau, ont une forte affinité pour la nicotine, c’est-à-dire que la nicotine s’y lie très facilement. En conséquence, une faible dose de nicotine va suffire à les activer ce qui enclenchera la cascade d’événements aboutissant à une amélioration de l’attention. En revanche, augmenter la dose de nicotine ou prolonger l’exposition des récepteurs en fumant cigarette sur cigarette n’aboutira pas à un accroissement de l’attention, bien au contraire. En effet, d’une part ces récepteurs sont rapidement saturés, ils ne peuvent fixer qu’une petite quantité de nicotine, et, d’autre part, ils se désensibilisent rapidement en cas d’exposition prolongée, c’est-à-dire qu’ils ne répondent plus à la stimulation par la nicotine ; il faut alors attendre que les récepteurs retrouvent leurs potentiels, ce qui prend environ 1 heure. En cas d’exposition répétée à la nicotine, ce qui est le cas des fumeurs réguliers, la désensibilisation devient chronique. En compensation, le nombre de récepteurs augmente mais, contrairement à ce qui pouvait être attendu, cela n’augmente pas pour autant l’attention. 
En effet, dans la plupart des études qui les ont comparés, les niveaux de base d’attention entre fumeurs (non privés de nicotine) et non-fumeurs n’étaient pas différents. 
En résumé, les recherches montrent que la nicotine améliore modérément l’attention chez les sujets au caractère distrait, sous réserve que la prise soit occasionnelle. Par contre fumer régulièrement annule cet effet.
 

Bonus - à revoir : Les effets de la nicotine sur le cerveau 

Auteur(s): 
Bertrand

Nalpas

MD, PhD, Directeur de recherche émérite - Inserm

MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm

 
Thématiques abordées: 
Article(s) associé(s):